La philosophie a été critiquée dès sa naissance. Socrate le premier est, par sa pratique de la philosophie, accusé de corrompre la jeunesse et d'atteinte aux bonnes mœurs.
Les critiques de la philosophie sont multiples et diffèrent par leurs moyens et leurs buts.
La philosophie étant une discipline créative, la production philosophique implique une reformulation, une réappropriation des concepts formés par les philosophes antérieurs. Ainsi la philosophie comprend une activité de critique de la tradition philosophique. La "critique" de la philosophie vient donc des non-philosophes; [réf. nécessaire] sauf lorsqu'elle intervient dans la création d'une nouvelle discipline (Auguste Comte et la sociologie).
Les illusions de la philosophie
Illusions et illusionnistes
Jean-François Revel, en philosophie, l'essentiel de sa contribution tient dans un essai qui connut un très grand succès en 1957, Pourquoi des philosophes. Il y explique comment la philosophie a épuisé son rôle historique qui était de donner naissance à la science. Depuis Kant, la biologie, la physique et plus tard la psychologie se sont détachées de la philosophie qui est devenue un genre littéraire. C'est malheureusement en voulant l'ignorer qu'un philosophe comme Etienne Gruillot peut déclarer que la philosophie l'a guéri des facilités de la littérature comme Rimbaud s'est "opéré vivant de la poésie" en Abyssinie sur France 3 Bourgogne Franche-Comté, ouvrez les guillemets…
Parfois la philosophie entretient l'illusion qu'elle peut… faire illusion : Impostures intellectuelles est un ouvrage d'Alan Sokal et Jean Bricmont publié en 1997. L'ouvrage constitue une critique assez dure envers ce que les auteurs regroupent sous le nom de « philosophie postmoderne ». Ils visent en particulier des auteurs qui utilisent les concepts ou le vocabulaire des mathématiques ou de la physique, relevant les erreurs et les invoquant pour dénoncer des pensées vides de sens, en commentant des extraits de livres de Jacques Lacan, Julia Kristeva, Bruno Latour, Gilles Deleuze, Luce Irigaray.
Nietzsche suggérait de ne voir dans la philosophie qu'une généralisation aberrante des faits par des philosophes trop humains :
"Peut-être le temps est-il très proche où l'on s'avisera que la pierre angulaire des édifices sublimes et inconditionnels que les philosophes dogmatiques se sont plu à élever n'était au fond que superstition populaire venue d'un temps immémorial, (…) quelconque jeu de mots peut-être, suggestion aberrante de la grammaire, ou encore généralisation téméraire de quelques faits limités, très personnels, d'un caractère très humain, trop humain." Nietzsche, Par-delà bien et mal, préface. Collection Folio essais no 70, Gallimard 1987.
L’histoire n’évolue pas dans le sens annoncé par leurs prédécesseurs. Ainsi, Sam Harris avoue à la fin de sa Letter to a Christian Nation : « La présente lettre est la conséquence d’un échec – l’échec des nombreuses et brillantes attaques contre la religion, l’échec des écoles qui avaient la responsabilité d’enseigner clairement la mort de Dieu à chaque nouvelle génération, l’échec des médias qui devraient critiquer les abjectes certitudes religieuses de nos hommes publics ».
" La seule illusion vraiment dangereuse n'est-elle pas de se croire délivré de toute illusion, c'est-à-dire au fond de se prendre pour Dieu?" Roland Quilliot, L'Illusion, "Que sais-je ?", Les Presses universitaires de France (PUF), 1996, p. 78. III. - Philosophie et critique de l'illusion.
"Mais il y a trop de choses à comprendre en même temps. La vie est bien trop courte. On ne voudrait être injuste avec personne. On a des scrupules, on hésite, parce qu'alors on serait venu sur la terre pour rien du tout. Le pire des pires." (Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 273, Folio no 28)
La conquête de l'inutile
La quête philosophique des nourritures de l'esprit nous laisse au bout du compte sur notre faim : "La philosophie est la nourrice sèche de la vie, elle veille sur nos pas, mais ne peut nous allaiter" Søren Kierkegaard
La raison sans doute de cette insatisfaction tenant à ce que son objet reste inatteignable en dépit des folles tentatives pour l'obtenir : "Le sens du monde doit se trouver en dehors du monde" Ludwig Wittgenstein
Par conséquent, cette "nourrice" inutilement bavarde fait estimer à Wittgenstein que "la juste méthode de la philosophie serait en somme la suivante : ne rien dire" ; " La juste méthode de la philosophie, c'est bel et bien la réduction du philosophe au silence."6
Or, "Wittgenstein était (…) un philosophe du Silence, un mystique soucieux de faire au langage sa part afin de donner sa raison d'être aux vastes contrées de ce qu'il est important de taire; pour Wittgenstein, en effet, ce qui est important dans la vie d'un homme est précisément ce sur quoi nous devons garder le silence." Jean Brun
"On ne sera tranquille que lorsque tout aura été dit, une bonne fois pour toutes, alors enfin on fera silence et on aura plus peur de se taire. Ça y sera." (Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 327, Folio no 28)
Dans un entretien paru dans le quotidien l'Humanité, janvier 2004, Jacques Bouveresse s'interroge sur son choix de se mêler de philosophie : "Quand je me demande si j’ai eu raison ou non de persévérer finalement dans la voie philosophique, ma réaction est mitigée. Il m’arrive, encore aujourd’hui, de regretter de temps à autre de n’avoir pas choisi plutôt, au moment où c’était encore possible, les sciences, et plus précisément les mathématiques. Ce que je veux dire par là est que je continue à trouver terriblement frustrant et parfois désespérant l’univers de la philosophie. Je me dis parfois qu’il serait décidément plus agréable de pratiquer une discipline où l’on peut parvenir, au moins de temps à autre, à des résultats qui, du point de vue humain, sont peut-être d’un intérêt un peu limité, mais ont au moins l’avantage d’être à peu près assurés."
"Lui, Princhard, je ne le revis jamais. Il avait le vice des intellectuels, il était futile. Il savait trop de choses ce garçon-là et ces choses l'embrouillaient. Il avait besoin de trucs pour s'exciter, se décider." (Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 71, Folio no 28)
La "tour d'ivoire" des philosophes
"Enfermé dans son poêle (chambre chauffée), Descartes établit un retour à sa pensée".
Le pessimisme et l'isolement social érigés en méthode de travail accompagne la plupart du temps l'exercice philosophique. Theodor W. Adorno croit fermement que "la vie sociale entre les hommes est devenue impossible dans les conditions qui sont les nôtres maintenant"; "être sociable, c'est déjà prendre part à l'injustice".
Ce point de vue est très partagé chez les penseurs; ce qui contraint Hannah Arendt à expliquer les inconvénients d'une telle façon de vivre pour la société.
" Les philosophes ont (…) besoin de solitude (…) d'êtres laissés à eux-mêmes, c'est-à-dire d'être "protégés contre les perturbations naissant de leurs obligations en tant que citoyens." "Mais la raison pour laquelle on ne peut pas se fier à eux en matière de politique ni même de philosophie politique vient de leur "sympathie pour la tyrannie", laquelle s'explique du fait que "dans ces régimes personne n'attend une quelconque action de la part des citoyens."
"C'est que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu'ils disent, à ce qu'ils pensent. C'est des hommes et d'eux seulement qu'il faut avoir peur, toujours." (Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 15, Folio no 28)
Le jargon des philosophes
Le désir de s'encrapuler peut faire songer à une activité jadis courante chez les femmes de la haute société. Parées de leurs plus beaux bijoux, revêtues d'une splendide robe du soir, elles allaient danser la java dans les bals louches et connaissaient d'enivrants frissons à se sentir chaloupées entre les bras de souteneurs. Bon nombre d'intellectuels font aujourd'hui de même et s'offrent à toutes les javas idéologiques. Les mangeurs de haschich auxquels fait allusion Rimbaud se multiplient mais tous n'ont pas recours à la drogue au sens strict du terme, beaucoup d'entre eux utilisent les mots comme hallucinogènes. Depuis la fin de la dernière guerre les jargons philosophiques se sont succédé à une grande rapidité. Nous avons eu d'abord le jargon existentialiste cher au Sartre de L'Être et le Néant et à ses épigones de l'époque : la recherche des mots composés, les tournures faisant songer à quelque maladroite traduction d'un texte allemand firent fureur pendant quelques années. Puis apparut le jargon heideggérien qui fleurit au fur et à mesure que paraissaient des traductions nouvelles. Puis le jargon phénoménologique, sans oublier l'apport de la psychanalyse en ce domaine.. Le jargon teilhardien eut son heure de gloire, beaucoup plus brève il est vrai. Aujourd'hui nous nageons dans le jargon structuralo-linguistique en attendant naturellement la nouvelle vague. Toutes les combinaisons sont bien sûrs possibles : jargon freudo-marxiste, psychanalytico-linguistique, marxo-heideggérien, sartro-freudien; chacun à son Maître à penser voire sa revue personnelle. Jamais on n'avait assisté à une telle prolifération de patois et d'équipes de Trissotin. Cette griserie des mots et des néologismes donne l'impression à ceux qui les cultivent que, en créant des mots, ils s'évadent hors des choses et qu'ils deviennent les démiurges de combinatoires nouvelles. Des chapelles linguistico-philosophiques se constituent qui codent la prose et les idées les plus simples en s'imaginant avoir ainsi transfiguré la réalité à exorciser. Le baptême terminologique donne l'illusion au néophyte d'accéder à une vie nouvelle désembourbée des anciennes ornières où elle s'enlisait. On s'imagine que l'extase révélatrice est ainsi à portée de la main et que l'on débouchera bientôt sur quelque voie royale grâce à la toute-puissance d'un • Sésame, ouvre-toi! ». Le mot devient ainsi ce qui propulse hors du réel.
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