Trois types de théories sur l'essence des valeurs :
1 - Naturaliste : Elles n'existent que par des causes  naturelles. L'hédonisme antique les ramène à un degré de plaisir procuré  par les choses. Ce qui donne du plaisir devient valeur. Hobbes et les  mécanistes expliquent le plaisir par des micro-réactions internes (ou  Spinoza). Freud et Marx en font des symptômes purs. Pour Freud, la  "valeur" est le reflet, la projection de la libido ou l'une de ses  formes. Elles sont le résultat de diverses sublimations.
Pour les behaviouristes : la valeur nait de phénomènes  physico-chimiques et mécaniques. Le "Bien" est ce vers quoi se dirige la  tendance et celle-ci n'est que mouvement dans une structure donnée.
La morale et la religion surtout ne sont que pseudo-valeurs.  Croyances et exercices religieux ressemblent aux représentations et aux  pratiques de la névrose obsessionnelle. Les tabous moraux et religieux  trahissent leur caractère névrotique par leur ambivalence, leur  inconscience, leur possibilité de transfert. Les dogmes religieux sont  des mythes, et les mythes ne sont rien d'autre qu'une psychologie  projetée sur le monde extérieur. Ce sont des complexes visualisés et  dramatisés. Dieu est l'image du père. L'angoisse religieuse n'est qu'un  mode de la détresse de l'enfant envers ses parents. Même la science  serait un avatar de la libido sous la forme "curiosité sexuelle".
La sublimation est la substitution d'un but axiologique au but primitif, sexuel, plus la conservation de l'instinct.
"La réduction freudienne est insoutenable, et Freud manifeste  beaucoup d'hésitation, au moins en ce qui concerne l'art et la science.  Si les diverses valeurs sont des projections, à la limite, elles se  valent toutes, et l'on ne peut parler de sublimation, c'est-à-dire de  buts plus haut que les autres."
Parmi les théories matérialistes : on trouve l'axiologie tirée des  lois de la physique : tout s'explique par la science (scientisme).
Exemple : Hobbes avec son impetus.
Ex : Evolutionnisme (de Spencer) : il y a un sens, une direction. La  valeur est dans la réussite, le maximum de réussite pour un minimum de  dépense. Elle va du moins hétérogène, de l'homogène à l'hétérogène, du  moins adapté au plus adapté. Possède alors une valeur positive tout ce  qui est composé, hétérogène, intégré et adapté.
Ostwald (physicien) a construit une axiologie sur la physique  énergétique et sur le deuxième principe de la thermodynamique. La  physique, au XIXème siècle, s'est aperçue que la notion  d'énergie est plus fondamentale que celle de la matière. Le sens du  temps c'est la déperdition d'énergie. D'autre part la thermodynamique  permet de définir rigoureusement un bon et un mauvais rendement d'une  machine. Elle décrit un effet utile en proportion de l'énergie fournie.  La thermodynamique contient donc implicitement l'axiologie, par  l'irréversibilité et par la notion de "bon rendement".
Principe moral en découlant : "Ne gaspille pas l"énergie". C'est de  l'utilitarisme et du pragmatisme. Exemple : la guerre est un gachis  d'énergie ; les bonnes théories scientifiques sont celles qui  économisent la pensée.
 
2 - Théories naturalistes de l'agent : La valeur n'est pas conçue  comme le maximum d'une chose ou d'un état qui se transforme et que l'on  peut calculer. Elle est définie à partir de l'activité de l'agent. Mais  cette activité est conçue comme un phénomène naturel, psychologique ou  social. 
La valeur ne vient pas des objets. C'est ma tendance ou mon  sentiment, phénomène primitif, qui permet de parler de la valeur de  l'objet que vise cette tendance ou ce sentiment. Toute valeur est donc  valeur par quelqu'un.
Exemple : moralistes du XVIIIème siècle : Qu'est-ce que la  morale ? demande Voltaire : c'est une psychologie naturelle : "C'est  l'instinct qui nous fait sentir la justice".
Le bon sens en fait partie. Sentiment que la chose est telle parce  que je le sens. "Ce qui est décidé tel par le goût". Contre ceux qui  légifèrent en morale selon des axiomes éternels. Les valeurs ne se  définissent que par nos inclinations et nos passions.
Le plaisir, l'agrément, ici, ne joue pas le rôle qu'il joue dans la  doctrine utilitariste ; il n'est pas constituant de la valeur, il est le  signe que le sujet peut attribuer de la valeur à un objet, parce que  cet objet est conforme à sa propre nature.
Schopenhauer et Nietzsche invoquent la volonté (le goût imposé) comme critère de la valeur.
Pour d'autres, la valeur c'est ce qui est lié à mon désir (conscience d'un plaisir d'attendre). 
D'autres à mon intérêt. L'intérêt est la base de la valeur. Le  rassemblement (social) de tous les intérêts, devient l'équivalent  pragmatique du Dieu des métaphysiciens et des théologiens. Il y a  intégration universelle de tous les intérêts par une Fédération  universelle des agents. Cette intégration est un idéal. S'y conformer  est le bien. Mais il est un fait qu'on peut être observateur impartial  des valeurs. Choisir le "Bien" contre ses intérêts, être désintéressé.
Si, suite à cela, on veut rester dans une théorie de l'agent, il faut  recourir à un système transcendant l'individu qui l'oblige à admettre  des valeurs auxquelles il sent qu'il doii se conformer, malgré lui.  Restant naturaliste, cette transcendance de la valeur va s'expliquer par  la société, des représentations de type sociales.
Pour les sociologues, la société est un tout autonome, ayant des  qualités qui ne sont pas la somme des qualités des individus qui la  composent. Il y a des phénomènes sociaux propres. Sa structure persiste  quand ses constituants changent. Ce système a une individualité  propre. Les individus interagissent avec ce système. Exemple : la  famille.
La société est un tout qui agit comme un contexte, un milieu  spécifique, modifiant le comportement et les jugements des individus.
Pour Durkheim, les faits psychologiques sont des effets sur les  individus des rapports sociaux, de la structure, du volume, de la  densité, bref, de la morphologie sociale. L'homme y est modifié comme un  élément dans un composé.
Les "représentations collectives" ne se réalisent que chez les  individus. Les idéaux collectifs sont l'âme du groupe. Cette âme vit une  vie propre. Elle induit de proche en proche, d'autres idéaux, en  chaîne. Elle crée de l'idéal.
Durkheim veut faire de la sociologie, la clé de la philosophie des valeurs.
Tout ce qui est social doit pouvoir devenir une valeur, et toute  valeur devenir socialisée. L'idéal doit avoir quelque chose d'objectif.  (Etre suprême, religion positiviste de l'humanité).
Le Bien est ce qui est conforme à la norme de la société idéale. Le  sacré est le social transcendent l'individu, dans la communion des fêtes  et des cérémonies.
Même les concepts les plus abstraits (vérité, logique...) ont une histoire et une origine sociales.
Ce paradoxe violent est l'indice de l'échec de l'axiologie de Durkheim.
Si telle invention à caractère social, exemple le moteur, est un  produit collectif, le fait de son "bon" ou de son "mauvais"  fonctionnement n'ont rien à voir en eux-mêmes, avec cette axiologie  sociale.
De plus on peut juger des institutions sociales, quand bien même on y  serait plongé. Tout type social a une valeur, mais n'est pas une valeur  par excellence.
Les sociétés (passées) sont jugeables autant que jugeantes. La  réciprocité des jugements sociaux dégage un idéal humain plutôt que  social.
Tel homme peut même juger l'humanité.
 
3 - Les théories non naturalistes (spiritualistes) de l'agent.
Le caractère commun de ces conceptions c'est que pour elles les  valeurs ne sont ni des phénomènes naturels, ni des idéaux transcendants,  s'imposant aux sujets. Toute valeur est déterminée par l'acte et le  jugement même de l'agent.
Mais l'agent n'est pas l'individu concret, avec ses sentiments,  désirs, instincts, besoins particuliers. Il n'est pas un phénomène  naturel. Il est considéré comme esprit jugeant. La valeur ne nait pas de  débats entre individus. Si l'individu juge vraiment comme esprit, et  non comme individu, il est par là-même en communauté idéale avec tout  esprit, dans une unité trans-naturelle.
Pour comprendre il faut penser à ce qu'est l'activité de l'esprit  dans les mathématiques. Il est libre spirituellement dans son activité.
De même les valeurs morales, esthétiques, religions, droit,  politique... sont constituées par l'agent, selon les exigences propres  de l'esprit.
Kant inaugure cette conception avec éclat. La source du bien, du beau, du vrai, est dans l'esprit même et ses catégories.
La nécessité se trouve dans la structure de l'esprit. L'action  morale, elle, est telle si elle est conforme à la seule raison (et non  un Bien métaphysique ou des psychologies individuelles). Le sentiment  esthétique n'est conditionné que par nos facultés, jouant librement et  retrouvant leurs législations dans la nature. La religion est la simple  connaissance de tous nos devoirs comme commandements divins.
Pour Kant et les kantiens, si on suit le bon chemin intellectuel ou  rationnel, alors on sera dans le vrai, le bon ou le bien. Il faut que  chacun respecte les bonnes règles de l'usage de l'esprit. A la limite,  l'esprit humain seul constitue les choses.
En ce qui concerne Dieu, il est trouvé par les esprits sincères, en  vérité. C'est un retour à l'homme mesure de toutes choses et le point de  départ d'un nouveau constructivisme.
Pour Dupréel, qui tient de cette école, les valeurs n'ont une force  que par leur opposition avec d'autres valeurs établies précédemment.  Ainsi la conduite morale ne se définit que par opposition avec la  conduite utilitaire, et la conduite utilitaire ne se définit que par  opposition avec la conduite du besoin et du désir. A la fin, on arrive à  une convention commune, librement amenée par les agents, là où ils  décident de converger.
 
Existentialisme et valeurs :
Pour Heidegger, l'homme fait surgir l'être qui est un "pour soi", sur  la base d'un manque de lui-même. Ce manque est l'être même. La réalité  humaine est son propre dépassement vers ce qu'elle manque. Mon manque  n'est pas relatif à des êtres autres que moi (Exemple : Dieu), il est la  définition même de ma conscience. La valeur ne dépend donc pas d'un  type idéal, une essence idéale. Elle fait couple avec la liberté humaine  de l'amener. Ma liberté est l'unique fondement de la valeur. C'est moi  seul qui décide de donner du sens à la sonnerie du réveil matin, au  travail... il n'y a de situation que par ma liberté.
 
Critique de ces théories :
Leur description des valeurs est plus précise, plus exacte que celle  des théories naturalistes, mais l'homme y est comme exclu de toute  cosmologie, tel un empire dans un empire. "Pourquoi l'homme et pas le  singe", demandait déjà Platon à protagoras.
Les existentialistes ne s'intéressent pas beaucoup à la science. Pour  Sartre, la soif n'est que la conscience libre de la soif. Mais il  oublie que les animaux aussi ont soif. Le manque n'est pas réservé à la  conscience humaine. Nos désirs ne sont donc pas forcément libres, mais  aussi conditionnés par les faits. Ce manque demande d'ailleurs une  substance chimique bien déterminée. Preuve que le désir, ou la volonté  de valeurs, n'est pas transcendance pure et abstraite.
 
4 - Théories réalistes
Les valeurs sont au delà des faits naturels et imposent leurs normes.  Ces règles ne sont pas conventionnelles ou arbitraires. Le non régulier  axiologique, est en même temps l'inefficace, le nul, l'informe. Ce qui  fait tenir une morale, une politique, une religion, une conduite, une  oeuvre d'art, ce n'est pas la volonté de l'homme, c'est sa conformité à  la nature idéale de la chose. De même que ce qui fait tenir une tour, ce  n'est pas la volonté de l'ingénieur, mais sa conformité aux lois de la  saine constrution.
Exemple : platonisme, philosophie classique. On parle d'idéalisme  objectif : il y a une réalité idéale du Bien et valable. Le jeune Ménon  ne trouve par lui-même la duplication du carré, que parce qu'il se  souvient de son Essence éternelle. Il en est de même des autres valeurs.
Théories néo-naturalistes : on ne peut affirmer que du point de vue  de ma conscience, l' "existence du bleu" est la même chose que  "l'existence de la sensation de bleu". Il y a donc bien quelque chose de  différent dans le traitement qui est fait de l'objet, dans l'objet.  Russell est un néo-réaliste. C'est proche de Platon.
 
L'essentiel du naturalisme est de tout rapporter à des enchainements  de causes et d'effets, et de ne pas croire que développement, ou  changement, se comprennent comme "participation" à une essence après  l'autre. La philosophie de l'émergence n'en tient pas compte. Elle est  de forme platonicienne, sauf que le mythe est inversé. Les natures  nouvelles émergent au lieu de descendre.
Cette théorie est chez Moore : la valeur apparait quand les  conditions naturelle sont données. Mais "la réalité" qui fait apparaitre  les valeurs, n'en est pas moins mythique. 
Pour les phénoménologues, les essences existent réellement, mais  elles sont produites par des intentions de la conscience. Ces intentions  sont à découvrir dans une analyse de la conscience dans son acte  intentionnel. C'est la chose même, qui est alors découverte. C'est une  sorte de platonisme.
 
 
5 - Valeur comme participation active
La valeur équivaut à l'action qui continue à vivre. On y trouve  l'équivalent du contenu des valeurs : un type et un idéal, une  transcendance. Le mieux est dans la création : sorte de relation entre  l'intellect et le réel.
Le Senne (créateur de la caractérologie), développe une philosophie  de la valeur. La valeur est activité comme rapport actif de la conscience  et de l'éternel. La valeur est à la fois une expérience et une  obligation de transcendance. La valeur est entre Dieu comme grâce et  Dieu comme obstacle (qui nous oblige au dépassement). Le "je" s'associe à  l'acte de Dieu.
Cette pensée de la valeur appelle à une métaphysique. La créativité  est le nom que l'on peut donner à l'aspect éternel de la valorisation.
 
 
Conclusion :
Il peut y avoir un rapport entre science et axiologie. La synthèse  philosophique entre la théorie des valeurs et la cosmologie est  aujourd'hui possible.
Les apports fondamentaux de la science contemporaine sont :
1 - Microphysique : Montre le caractère superficiel des lois  scientistes de fonctionnement, de déterminisme... un atome est toujours  formation active. L'action est en toutes choses.
2 - Chimie biologique : Montre de plus en plus la continuité entre la  microphysique, les molécules, les molécules géantes, les virus et les  individus vivants. Tout ce qui constitue l'Univers va vers la valeur et  la complexité.
3 - L'embryologie : Le développement et la régulation ne s'expliquent  pas par des causes empruntées à la physique classique. Le développement  d'un organisme est épigénétique. Ce qui suppose des relations  transspatiales. Il y a aussi en cela une action constituante selon un  type, ou une mémoire spécifique. Avec des corrections si besoin.
Ces trois découvertes permettent de régler les principaux problèmes posés par la théorie des valeurs.
- Problème de l'émergence : Comment la valeur peut-elle apparaitre  dans un monde matériel, physique et neutre ? → La valeur est déjà dans  la matière puisqu'elle est action. Toute existence est formation  axiologique. Existence et valeur commencent en même temps, suspendues  aux deux pôles de créativité : agent et idéal.
- Aspect du premier : La valeur ne parait pouvoir se définir que pour  les êtres vivants, leurs besoins, leurs désirs, et pourtant elle  transcende la vie. Vérité, beauté, justice, puissance, amour, ne sont  pas de simples expansions de la vie organique. Les expressions  spirituelles ne prennent naissance que dans les hommes vivants, mais il  serait absurde de les réduire à des phénomènes de développement  organique.
La solution se trouve dans le caractère universel de la vie. Il n'y a  pas de saut véritablement entre grandir et devenir honnête. Tout se  fait à mesure.
- Problème de l'efficacité des valeurs : on sait maintenant que toute  force d'essence axiologique ; pour se faire organisatrice. Tout se  réalise par ou grâce à la force (de l'idéal).