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« Le "Jugement Dernier", ne peut, ne pourra se faire, QUE sur les paroles dites en tous les temps par les hommes et les responsables des diffusions qui ont conditionné le monde, au TEST du Testament du Christ qui l'a ré-digé au commencement pour qu'en Fin il s'ouvrit et con-Fonde toute la Dispersion, cette "Diaspora" "tra-issante" ou trahissante à travers l'Ordre Divin de Rassemblement. Qui, quelle religion, quelle académie, quelle initiation, s'est voulue assez large de coeur et d'esprit pour rassembler toutes les brebis égarées de la Maison d'Israël, c'est-à-dire, non pas le pays des juifs, mais la Maison de Dieu qu'est le Verbe par TOUT : IS-RA-EL : "l'Intelligence-Royale-de Dieu", contre laquelle l'homme doit "lutter", "l'emporter" (de la racine hébraïque sârôh), ce qu'est en vérité l'antique Iswara-El, cette "Agartha" invisible, enfouie dans les profondeurs de la "Terre", c'est-à-dire de l'Homme, dans ses ténèbres. »

André Bouguénec, Entretien avec l'homme, article Qui est Judas ?

 

 

 

Le père de la sémantique générale, Gabriel Véraldi - Planètes N°6

La traduction d'un roman de Van Vogt : « le Monde des Non-A », une étude de Gaston Bachelard, un article de Fereydoun Hoveyda dans « Fiction » : c'est tout ce qui a été jusqu'ici publié en France sur Korzybski et la Sémantique générale. Cependant, un très fort courant de curiosité et d'intérêt se fait sentir en ce moment pour l'oeuvre gigantesque de ce comte polonais installé aux États-Unis et qui consacra sa vie à la construction d'une nouvelle logique, mieux adaptée aux réalités du monde moderne, d'une méthode de pensée non aristotélicienne.
Gabriel Véraldi a entrepris la traduction du livre monumental de Korzybski : « Science and Sanity » et anime l'association européenne de Sémantique générale. Nous tiendrons nos lecteurs au courant des travaux de cette Association.

LA VIE ET L'OEUVRE DE KORZYBSKI


Voici douze années qu'Alfred Korzybski, créateur de la Sémantique générale, est mort dans une petite ville de la Nouvelle-Angleterre. En dehors des cercles scientifiques américains, cette disparition est passée inaperçue. Seul, peut-être, en France, Gaston Bachelard a su qu'un des plus grands cerveaux de tous les temps avait cessé son effort inlassable (1). Mais son oeuvre est jeune ; elle commence à peine une vie qui sera un moment de l'évolution humaine. Il n'est pas de semaine qu'un homme en quête de vérité ne rencontre Korzybski et n'en soit changé.
Cet homme n'est pas séduit par le charme d'un art ou d'une rhétorique, par un nouveau progrès du confort intellectuel. La sémantique générale est d'une rigueur jamais encore atteinte ; que l'on imagine Descartes, mais après Claude Bernard, Cantor, Einstein. Certes, la personnalité de Korzybski est extrêmement attirante, mais il est bien difficile de la connaître. Il n'existe aucun ouvrage sur sa vie : pas de journal, pas de mémoires. Quelques articles, une brève biographie hâtivement esquissée par ses collaborateurs, c'est tout. Il n'avait pas le temps de s'intéresser à lui-même et il aurait certainement préféré que je parle de la sémantique générale plutôt que de sa personne. Je le fais pourtant avec la conscience de bien faire, car notre temps a besoin d'hommes qui ne donnent pas seulement des leçons, mais aussi des exemples, et la vie de Korzybski est exemplaire.
Toutes les cultures se sont nourries de vies exemplaires. Un des aspects pénibles du xxe siècle est qu'il met en lumière quelques milliers de clowns, de vedettes, d'excentriques et de crapules ; cela fait oublier qu'il y a autant, et plus, de grandes âmes aujourd'hui qu'en toute autre époque. Korzybski était du nombre et il est bon d'en parler. C'était une intelligence éblouissante et un coeur généreux ; sa femme a résumé mieux que personne ce qu'il avait de rare, en disant qu'il se souciait de l'humanité comme peu d'hommes sont capables de se soucier d'une femme.

(1) Gaston Bachelard : la Philosophie du Non (Presses Universitaires).

Voilà qui est étonnant. En général, les réformateurs veulent changer l'humanité parce qu'ils la détestent ou parce qu'ils ne la connaissent pas. La liste est longue, et démoralisante, des maîtres à penser qui ont réussi de justesse à vivre hors d'un asile pour malades mentaux, qui ont à peu près tout ignoré des travaux et des joies humaines, qui ont fait la théorie dé ce qu'ils n'ont pas réussi dans le monde réel. Pour revenir à la haute silhouette de Descartes, l'un des sages auxquels Science and Sanity, le monumental ouvrage de Korzybski, est dédié, la qualité de son oeuvre est liée à une expérience exceptionnellement riche. Mathématicien, homme de guerre, mystérieux voyageur, il pouvait parler en saine connaissance de la cause humaine. Ce fut aussi le cas du comte Alfred Vladislavovitch Habdank Skarbek Korzybski.


LES DERNIÈRES ANNÉES DU XIXe


Il naquit le 3 juillet 1879, à Varsovie. Cette même année, Albert Einstein naissait en Bavière. Les choses bougeaient, dans l'Europe du centre et de l'est. Le petit Alfred était directement branché sur cette agitation, grâce à son père, ingénieur général, mathématicien, esprit moderne dans une société à la fois conservatrice et impatiente. Dès cinq ans, il parlait quatre langues : le russe officiel, le polonais, le français et l'allemand de ses gouvernantes. Dans cette Pologne écrasée sous le régime tzariste, la vie n'était pas facile et les impôts lourds. Ii fallait à son père bien du talent pour créer des méthodes nouvelles en agriculture qui attiraient l'attention du State Department américain.
Alfred était le seul fils, ce qui lui permit de mener, avec précaution, une existence aristocratique. En sortant de l'École Polytechnique de Varsovie, il voyagea en Allemagne et en Italie. Il demeura longtemps à Rome, étudiant, dansant, se mêlant à la société vaticane de Léon XIII, conduisant des intrigues compliquées. Son adresse dans les duels lui valait le surnom de « maledetto Polacco », sacré Polonais ! cependant qu'il prononçait devant le général des jésuites sa première conférence sur les relations du clergé et de la jeunesse polonaise.
Il faut bien comprendre que ces dernières années du XIXe siècle étaient une explosion, hors de France. Nous avons une fausse vision de 1900, celle d'une fin de siècle élégante et faisandée, d'une belle époque où la « cocotte » et le « gandin » donnaient le ton. La France s'était déjà coupée de la grande histoire et commençait cette maladie qui devait la livrer aux Panzerdivisionen de 1940. En fait, l'Europe fermentait comme une pâte. Lénine, Trotzky, Mussolini, Hitler erraient en ajustant leurs chimères, tandis qu'une jeune Polonaise voyageait en quatrième classe vers Paris, où elle épouserait Pierre. Curie, tandis qu'une douzaine de révolutionnaires en redingote, Poincaré, Wittgenstein, Russel, Whitehead, Mach, Planck, autres dédicataires de Science and Sanity, détruisaient paisiblement la philosophie des deux derniers millénaires. Il s'agissait vraiment de construire un monde nouveau et il n'est pas étonnant que le comte Korzybski, revenant au domaine familial, n'ait pas pu supporter l'ordre tzariste qui interdisait d'instruire les paysans. Il fonda une école à Korzybskié et fut proprement condamné à la déportation en Sibérie, sentence que lui épargna son haut fonctionnaire de père. Et puis ce fut 1914.


LA CARTE N'EST PAS LE TERRITOIRE


Le cavalier Korzybski se battit à la polonaise, c'est-à-dire qu'il eut vite une hanche écrasée sous son cheval, une balle dans le genou et des lésions internes. Invalide, il fut envoyé en décembre 1915 aux États-Unis comme inspecteur des achats de l'artillerie, bien qu'il protestât de son ignorance en la matière : il ne connaissait les canons, disait-il, que par le mauvais bout. En 1917, comme la plupart de ses compatriotes, il n'obéit pas à l'ordre de rentrer en Russie et fut nommé secrétaire de la commission américaine de l'Armée franco-polonaise. Ce fut le début du travail inhumain qui ne devait cesser qu'avec sa mort. Il était recruteur pour l'Armée franco-polonaise, conférencier pour le Gouvernement américain, inspecteur des mines de charbon, à majorité polonaise ; il ne dormait guère et un document officiel témoigne pour la première fois de son talent d'éducateur : « Comment il communique une telle quantité d'informations considérées habituellement comme sèches, de façon à captiver son auditoire pendant longtemps, est une chose difficile à comprendre. C'est un travailleur acharné et il semble vouloir adopter une cadence qui tuerait un homme ordinaire. »
Ce qu'il faut comprendre, et ce que le rapport officiel ne peut certainement pas enregistrer, c'est la raison profonde de cette activité, de ce besoin d'être utile. Depuis longtemps, Alfred Korzybski est talonné par la passion de comprendre, passion autrement exigeante que celle du pouvoir, de la richesse ou du plaisir. Une tradition rapporte que le tournant de sa pensée eut lieu lors du sacrifice de la Deuxième Armée russo-polonaise, pratiquement anéantie en Prusse-Orientale pour soulager la pression allemande sur Paris. Korzybski, alors officier d'état-major, avait préparé une attaque. Il avait soigneusement étudié les cartes. Mais ces cartes ne signalaient pas un fossé profond, derrière lequel les mitrailleuses prussiennes étaient postées.
Ce serait là l'origine du fameux slogan de la sémantique générale : « La carte n'est pas le territoire ». C'est peut-être trop beau pour être vrai. Mais toute la vie de Korzybski est trop belle pour être vraie. Il est, aussi, trop beau que Science and Sanity ait paru en 1933, l'année de l'accession de Hitler au pouvoir. Symbolique ou non, cette histoire rend juste compte du climat dans lequel fut conçue la pensée non-aristotélienne. La pomme de Newton reproduit toute une atmosphère de pensée pure, de sérénité bucolique.
C'est dans le feu et le sang que la sémantique générale a trouvé son origine, dans l'interrogation vaine des combattants : « Pourquoi cela ? »
En janvier 1919, Korzybski épouse une femme peintre, belle et mondaine, Mira Edgerly. Il se fixe aux États-Unis et, la paix revenue, concentre son exceptionnelle intelligence sur le problème de l'homme. Une nuit, il se réveille le visage couvert de larmes. Il a trouvé la solution de cette question à laquelle il pensait toujours, avec les paysans de son domaine, avec les hussards de son escadron, avec les jésuites de Rome, avec les mathématiciens amis de sa famille : Comment connaître l'homme ? Il a quarante ans, il a beaucoup fait, beaucoup vu, beaucoup appris. La part créatrice de sa vie commence.


L'AGE ADULTE DE L'HUMANITÉ


Qu'est-ce que l'homme ? Des milliards d'heures de travail ont été consacrées à cette question, sans lui donner une réponse satisfaisante. Et l'on pourrait s'échiner encore pendant cinq millénaires sans être plus avancé, si l'on ne change pas de méthode. Car l'on n'étudie pas des faits humains, on discute à l'infini sur des mots, sur des fictions, sur des théories invérifiables. L'homme est-il un animal ? Ou bien un animal plus une âme ? Ou encore « un dieu tombé qui se souvient des cieux » ? Mais qu'est-ce qu'un animal ? Qu'est-ce qu'une âme ? Tant que la physique s'est demandée si l'air était composé d'eau et de feu, ou si la combustion était produite par un fluide contenu dans les objéts inflammables et nommé phlogistique, elle n'a fait que bavarder sur la structure de l'univers ; elle ne l'a pas comprise, elle n'a pas pu agir sur elle. Il en est de même pour le phénomène humain. Il convient donc d'abandonner une façon de penser qui a montré son impuissance et d'adopter une méthode nouvelle, dérivée du raisonnement mathématique. Ce n'est qu'en décrivant les faits humains en termes fonctionnels, sans inventer des théories gratuites, que l'on aura une chance de résoudre le grand problème.
Un exemple : la méthode fonctionnelle fait immédiatement apparaître que l'homme n'est pas un animal. Il inclut les fonctions spécifiques de l'animal, de même qu'il inclut les fonctions spécifiques des plantes, c'est-à-dire la réorganisation des structures chimiques minérales. Mais il possède une gamme de fonctions spécifiques proprement humaines, comme celle qui consiste à organiser le temps : la fonction nommée par Korzybski time-binding, d'où sortira l'idée moderne d'hérédité non-génétique.
Or, que se passe-t-il depuis les débuts de la civilisation ? L'homme copie l'animal. Il n'utilise qu'imparfaitement son système nerveux unique parmi le demi-million d'espèces vivantes qui se sont succédé sur la terre. Cette imitation de l'animal est inévitable pour l'enfant et pour le primitif, étant donné leur développement biologique ou culturel. Mais l'homme adulte et normalement développé ne peut continuer à imiter l'animal sans de graves troubles psychologiques, physiologiques ou sociaux. Le point d'évolution atteint par le xxe siècle exige ce passage à l'état adulte de l'humanité. Nous vivons en effet dans un milieu artificiel, créé par nos facultés spéciales, et nous ne pouvons pas sans danger continuer à réagir comme des primitifs. Il faut donc comprendre notre nature unique et apprendre à l'utiliser.
Avec deux doigts, Korzybski tape le premier manuscrit de son livre Manhood of Humanity (l'Age adulte de l'Humanité). Par prudence scientifique, il va soumettre son travail au fameux professeur Keyser, de l'Université Columbia. Celui-ci venait de terminer son propre ouvrage Mathematical Philosophy, mais, en lisant Korzybski, il y trouve la solution des problèmes qu'il avait abordés en vain. Il sera le premier parmi les centaines de savants qui suivront, aideront et encourageront le chercheur polonais. « Manhood of Humanity » est publié en 1921 et l'édition est épuisée en six semaines.
Alors commence un gigantesque effort de douze années. Korzybski rédige sa thèse, Time-Binding, the General Theory, et la présente devant les congrès de mathématiciens. Il revient à Varsovie en 1929 pour parler devant le Congrès des Pays Slaves. En même temps, il développe les conséquences innombrables de sa méthode fonctionnelle. Ses connaissances scientifiques sont insuffisantes : il les approfondit sans un jour de relâche. Il étudie pendant deux ans la psychiatrie au St. Elizabeth Hospital de Washington. Il assimile la physique moderne, la biologie, l'anthropologie, la chimie colloïdale, la neurologie. En 1933, enfin, malade de fatigue, ruiné, il publie son grand ouvrage Science and Sanity, an Introduction to non-aristotelian Systems and General Semantics. Il a cinquante-quatre ans. Il n'aura plus la force de résoudre la grande question : Qu'est-ce que l'homme ? Mais il a créé la méthodologie qui permettra, dans un siècle peut-être, à l'humanité de se comprendre.


LES PROLONGEMENTS DE L'OEUVRE


Sa vie va se confondre maintenant avec la diffusion de ses travaux, avec la formation de ses continuateurs. Il dirige des séminaires dans les universités américaines avancées, de Berkeley à Harvard. Des savants de valeur internationale deviennent ses élèves : le mathématicien Eric Temple Bell, la zoologiste Child, l'anthropologue Malinowski, le physicien Bridgman, le généticien Bridges, le naturaliste Wheeler, la neurochirurgien Russel Mayers, etc. En 1938, l'Institute of General Semantics est fondé à Chicago et transféré, en 1946, à Lakeville, dans le Connecticut. C'est là que, le ler mars 1950, il sera emporté en quelques heures par une crise cardiaque, à la veille de diriger un séminaire. Mais il a eu le temps de former des milliers de spécialistes, d'attirer des dévouements sans limite. M. Kendig lui succède à la tête de l'Institut. Charlotte Schuchardt édite ses ouvrages. Des médecins, des chercheurs, des officiers, des professeurs, des hommes d'affaires se consacrent à cette oeuvre dans l'intérêt de l'homme et de la raison.
Une thèse présentée à l'Université du Kansas en 1949 dénombrait 250 ouvrages et communications de sémantique générale sur une centaine de sujets. En 1953, les vingt et un principaux ouvrages s'étaient vendus à plus d'un million d'exemplaires. Il existe aujourd'hui cent vingt-cinq cours dans les principales universités américaines, et des sociétés correspondantes au Mexique, en Australie, au Japon, en Grande-Bretagne ; en février 1962, la première association non-aristotélienne a été fondée en Europe continentale. Les applications les plus diverses ont vérifié la portée de la méthodologie, depuis l'organisation de la circulation à Chicago jusqu'au traitement de sept mille cas de choc au combat dans l'Armée de l'Air des États-Unis. Le droit, l'éducation, la psychiatrie curative et préventive, la réorganisation des entreprises, des départements entiers de la science ont été transformés avec des résultats spectaculaires. Et cela n'a rien de surprenant : la sémantique générale est une méthodologie strictement scientifique. Le critère de la science, c'est son efficacité.


LA PENSÉE NON-ARISTOTÉLIENNE


Mais qu'est-ce que la sémantique générale ? Quelle est sa définition ? Cette question est le cauchemar du sémanticien général. Il a assimilé la méthode, il sait, par expérience directe, ce dont il s'agit. Il sait aussi qu'il ne peut pas en donner une brève définition. Pourquoi ? C'est une longue histoire.
Au xxe siècle, la science et les valeurs européennes dominent le monde. Elles sont issues d'un système élaboré il y a quelque vingt-cinq siècles à Athènes et lentement perfectionné, avec maintes interruptions, par les penseurs européens. Pour ne citer que les plus grands noms : Aristote, Euclide, Newton, Lavoisier, saint Thomas, Kant, Marx, Boole, etc.
Au siècle dernier, la géométrie a atteint les limites du système. Lobatchevski, Riemann ont créé les géométries non-euclidiennes, relançant la connaissance vers ses triomphes d'aujourd'hui. Il faut souligner que ce non n'est pas une négation ; c'est une généralisation. Il signifie que les systèmes généralisés incluent l'euclidisme comme un cas particulier, celui de notre expérience quotidienne et primitive. Mais les structures fines et géantes de l'univers, que nous révèlent les moyens nouveaux d'observation du très grand et du très petit, obéissent à d'autres lois que celles de notre connaissance journalière. Il faut une géométrie révisée, générale, pour les comprendre.
Einstein et Minkowski, grâce à Riemann, ont créé la physique non-newtonienne, d'où est tirée la technologie moderne. Nous vivons ainsi dans un monde humain révisé. Par exemple, l'avion qui traverse l'Atlantique en six heures est, dans son corps de métal, un objet euclidien ; mais ses appareils électroniques, ses propulseurs, son vol sont des opérations non-euclidiennes, non-newtoniennes. Nous avons, conformément à la loi de notre nature, modifié notre milieu et nos outils, nos besoins et nos aspirations. Mais nous n'avons pas modifié parallèlement notre langage, notre éducation, notre sensibilité, notre connaissance de nous-mêmes. Nous sommes des étrangers dans le monde que nous avons créé. Et nous en sommes douloureusement conscients. Toute une philosophie s'est créée pour faire de notre échec d'adaptation un caractère de l'univers : l'humanité est un accident absurde, son existence n'a auèune signification ; à l'image de Sisyphe, elle poursuit aveuglément sa peine inutile. La philosophie de l'absurde est peut-être vraie, mais c'est peu probable. A mesure que notre connaissance de la nature des choses s'améliore, nous constatons partout et en tout un ordre minutieusement équilibré. Il est très peu vraisemblable que la plus complexe et la plus parfaite des structures observables dans l'univers connu, le système nerveux humain, soit un accident gratuit. D'ailleurs, nous possédons les indices permettant de penser que la vie est un phénomène général et normal. Ce qu'il faut vérifier, avant d'enfourcher des chimères philosophiques, est simplement ceci : le malaise de la civilisation n'est-il pas une maladie passagère et guérissable ? N'est-il pas stupide de reprocher aux physiciens et aux techniciens de trop bien faire leur métier, de faire avancer certaines connaissances plus vite que d'autres ? Ne faudrait-il pas appliquer aux problèmes humains les méthodes qui réussissent, afin de combler leur retard et de rétablir l'harmonie entre les hommes et leur milieu ?


Tel est le but de la sémantique générale. Et pourquoi est-il impossible d'en donner une définition ? Parce que la pensée non-aristotélienne est révisée, généralisée. Elle ne peut pas être traduite en termes non-révisés, de même que l'on ne peut dessiner, en géométrie euclidienne, un triangle à deux angles nuls de la géométrie généralisée. Elle ne se définit pas, elle s'apprend. Elle se vit. Est-ce difficile ? Oui et non. Des expériences faites sur des centaines d'enfants montrent que le nouveau système non-aristotélien, non-euclidien, non-newtonien, est plus facile pour eux que l'ancien système. Il est plus naturel, il est plus conforme effectivement à la nature des choses et à la structure du système nerveux. Par contre, les adultes ont de la peine à réviser une conception du monde qui a été gravée en eux par l'éducation, par le langage, par les coutumes. Un certain nombre échouent ou réagissent violemment. Ceux qui réussissent à se délivrer du conditionnement aristotélien, après pas mal d'efforts, estiment que le résultat vaut largement la peine. Progressivement, les faux problèmes, fabriqués artificiellement par le langage et l'héritage d'idées primitives, disparaissent. L'intelligence est libérée au bénéfice des problèmes réels. Les tensions nerveuses, produites par l'ignorance du fonctionnement normal du , système nerveux, s'éliminent. Il devient facile de reformuler les questions théoriques et pratiques en termes fonctionnels, dont la solution est souvent automatique. Bref, on devient adulte, et à l'aise dans un monde en prodigieuse transformation.
Mais alors, pourquoi la sémantique générale n'est-elle pas plus répandue ? Cela n'a rien que de très ordinaire. Quinze ans après la géniale communication d'Einstein dans les Annalen der Physik, la Sorbonne refusait de recevoir cet original qui voulait changer la bonne vieille science de nos pères. Il y aura l'an prochain trente ans que Science and Sanity a été publié et son objet est une transformation infiniment plus fondamentale que celle de la physique théorique. Il n'est pas surprenant que notre routine ait résisté un tiers de siècle. Mais l'humanité évolue et la pensée non-aristotélienne est une étape nécessaire de son progrès.


GABRIEL VÉRALDI.