Notes tirées de l'ouvrage Arrêtez de décoder : "Pour en finir avec les gourous de la communication".
La psychologie classe, évalue, expertise et finalement normalise à tous les niveaux de la société. Mais surtout, elle est entrée dans chaque relation, qu'elle supervise comme « l'oeil de Caïn » du poème d'Hugo. Elle tend - perversion du système - à « pathologiser » les relations. C'est dans cette brèche, précisément, que les bonimenteurs se sont engouffrés. L'un de leurs présupposés, c'est que les individus simulent, mentent et manipulent, à leur corps défendant pourrait-on dire.
La quasi-intégralité des gourous qui nous intéressent ici se prévalent de formations et de diplômes de psychologie (souvent flous ou « alternatifs », d'ailleurs). Comme si la légitimité, et la caution de scientificité de ce qu'ils assènent découlaient nécessairement d'un « diplôme psy ». Comme si ce titre magique - « psychologue » - octroyait un sésame pour comprendre les coeurs et lire dans les âmes, infailliblement...
En tout cas, leur « homme total » habité par une « surconscience » relève d'un élitisme drolatique quand il n'est pas un peu inquiétant. Car il existe des similitudes entre certains préceptes du Développement personnel et des discours sectaires. Ainsi, la « dianétique » distillée par l'Église de scientologie, qui veut transformer l'individu en un « être supérieur » appelé Thétan. Or, les fans du Développement personnel se voient souvent comme des « élus », des personnes en avance sur leur époque, « rétrograde et grégaire ».
« Antisociaux », pour autant, les « exaltés du Moi »? Leur engagement citoyen se résume souvent au credo: « si je vais mieux, le monde ira mieux ». C'est une manière de voir les choses, se rapprochant d'« après moi le déluge »...
Les adeptes du Développement personnel iraient vers une conscience totale d'eux-mêmes, de leur destin, etc. Mais à y bien regarder, ils ne font que retomber dans des dépendances à des « écoles », à des lectures obligées, à des techniques à pratiquer quotidiennement. Et à des gourous, qui leur intiment de se conformer à leurs préceptes. Les rassemblant lors de leurs séminaires onereux, ceux-ci leur disent quoi manger, quoi penser, comment dormir, faire l'amour ou la vaisselle (développement personnel... et durable oblige). L'émancipation de l'individu, la souveraine liberté passent parfois par d'étranges servitudes. Car « il s'agit d'appliquer le discours du Maître pour maîtriser, pour se maîtriser ».
Et surtout, une situation in vitro idéalement déconnectée des pratiques réelles, qu'on modélise et idéalise à dessein : quelques personnes (entre 8 et 12) sont rassemblées en vase clos pendant deux jours en moyenne, « pour réfléchir sur leurs pratiques », « mettre à plat les dysfonctionnements », et, inévitablement, « améliorer leur rendement » et « optimiser leurs performances ». Tout cela se fait via quelques apports théoriques, sur la base des sacrosaintes modélisations, et sur la foi de : « la méthode que j'ai inventée va révolutionner votre approche du métier, et votre regard sur les autres et vous-mêmes ». S'ensuivent une batterie de tests, des jeux de rôle (éventuellement devant caméra, « afin de mieux décrypter ensuite »), quelques témoignages sur le mode de la « séquence émotion » chère à la « télé-réalité », des repentirs publics : « je n'ai pas été assez pro, je l'admets et le confesse », le tout prenant parfois le ton d'un véritable psychodrame, afin de « regonfler à mort » les troupes avant leur retour à la vraie vie (de l'entreprise). Jean-Pierre Le Goff, encore, évoque une véritable « culture du mépris », inculquée lors de bien des exercices de ces stages.
Cette obsession à classifier coûte que coûte, on la retrouve très présente chez tous les bonimenteurs. Bien sûr, toute démarche scientifique part des typologies. Classer, c'est introduire du sens. Les bonimenteurs, eux, classent en simplifiant et, souvent, en caricaturant. La réalité (humaine a fortiori) est trop complexe ? Diable, simplifions-la, rabotons les coins, oublions bizarreries, différences, particularités et subtilités (tout ce qu'on appelle la culture, finalement), et elle entrera bien dans nos tableaux, listes et familles !
En tout cas, il faut redire combien PNL et Analyse transactionnelle ont formidablement décomplexé « gourous » et bonimenteurs, tout en ouvrant une large brèche, notamment éditoriale, dans laquelle tous s'engouffrèrent ensuite. Leur prose combattante, leur rhétorique guerrière et pragmatique en diable, leur immodestie assumée, sur fond de cette certitude de « détenir les clefs et de connaître les secrets », ont donné à penser qu'il était possible de s'affranchir des habituels tours et détours académiques pour parler science quitte à parfois singer le discours scientifique, afin de s'octroyer un supplément de légitimité.
Selon Pierre Quettier, « cela répond aux besoins des cadres, recruteurs et autres manageurs d'avoir à disposition un mode simple de typification des comportements sociaux au travail. La recette est simple : une typologie proto-scientifique ayant tous les attributs du sérieux (avec une mythologie ad hoc et un système de questionnaire traité par ordinateur donnant son 'type' au client) et une 'grammaire' de conjugaison des comportements en situation, le tout distillé en un certain nombre de séances de formation/coaching, fortement tarifées, animées par de bons bateleurs. Lorsque c'est bien fait (et les spécialistes de la 'Process com' sont de bons professionnels), cela produit alors l'effet auto-réalisateur que l'on doit au principe de Thomas: "lorsque les gens pensent une chose vraie, cette chose devient vraie dans ses conséquences". Traduction: "ça ; marche". Et c'est tout ce que demande la tribu des manageurs. Et lorsque la "Process com" ne "marche plus", parce que la réalité tend heureusement à sortir du cadre des typologies, il est toujours temps d'en essayer une autre. Et tourne le business ! » De la même farine, il y a aussi la « prédom », qui affirme apprendre « l'efficacité par les comportements »... Là aussi, un long questionnaire en ligne, des familles, des typologies, des compatibilités, à toutes fins utiles : « communication, dynamisation d'équipes, coaching, recrutement »...
Les bonimenteurs considèrent l'individu comme une mécanique , qu'il suffirait de régler, de programmer et de déprogrammer. Les théories ne servent pas à mieux comprendre le monde et l'homme, elles sont des petites boîtes à outils permettant précisément d'instrumentaliser l'autre.
C'est le propre des bonimenteurs que « de faire du passé table rase », tout en décrétant qu'ils sont les premiers sur le sujet, et que la science et l'espèce humaine les attendaient pour voir les choses différemment.
A propos de Messinger : Il suggère même dans Les gestes qui séduisent (p. 129) « de consacrer un ouvrage entier au langage des fesses ». Si cette idée n'est pas du vent, voici un projet qui ne manque pas d'air, on en conviendra.
L'une des conclusions de ces pages, c'est que ces gourous ne sont pas des scientifiques, quoi qu'ils disent. Et ils se vendent si bien et si cher sous cette étiquette usurpée et sur la foi de cette simulation qu'il me semblait important d'en instruire le procès à charge. Ce sont des dogmatiques, fonctionnant intellectuellement et professionnellement (quand ils sont formateurs) sur des logiques sectaires. Là où scientifiquement, l'important est de poser les bonnes questions puis de nourrir des questionnements complexes et partiels, eux énoncent des vérités générales qu'il conviendrait de connaître par coeur avant de commencer à parler et agir. Les bonimenteurs sont des idéologues, les réponses précédant chez eux toujours les questions.
Ces gourous vendent aux autres l'illusion d'un pouvoir sémiotique absolu. Ils font la promesse de la toute-puissance dans le décryptage de l'autre, sur le mode « si vous comprenez ce que je dis et si vous l'apprenez, alors la force sera en vous ».
Les bonimenteurs mettent à l'honneur un darwinisme social nauséabond, miasme exprimant l'air du temps: s'adapte et triomphe le plus malin, celui qui sait comment s'y prendre pour « lire autrui » et ainsi mieux le circonvenir.
Le discours des bonimenteurs est un discours totalement voué à l'ultralibéralisme, il est aculturel, asocial et méprisant vis-à-vis des individus. La transposition de ces « techniques » dans le champ social signifie une normalisation des comportements, des attitudes et surtout, la restriction de la personnalité à la seule sphère de l'efficience: s'accomplir, c'est réussir.
Et j'y reviens toujours, tous les gourous de la relation sont porteurs d'un discours foncièrement anti-humaniste, qui fait fi de la morale, c'est-à-dire du respect d'autrui dans son être et son expression, et qui s'assoit sur l'éthique de la communication, pour fétichiser les « objectifs à atteindre ». Ainsi, ils interrogent « le problème de la honte, le fait de ne plus avoir d'espace intime, d'être transparent devant l'autre. Or, ces interprétations visent à faire naître chez autrui un sentiment de honte. Pour lui échapper, on va investir son interlocuteur des pleins pouvoirs. Puisque cet autre voit en moi, je n'ai plus de pudeur à avoir. Renoncer à la honte devient une manière de se protéger d'une intrusion possible. Ces méthodes de "lecture d'autrui" relèvent d'une logique terroriste. Car sur quoi se fonde le discours des terroristes ? 'Tu n'as rien à me cacher, tu es en mon pouvoir"... C'est la logique d'Orwell. On invite dans ces livres les gens à souscrire à un fascisme quotidien. C'est une espèce de totalitarisme de l'intimité. Car il s'agit d'établir une emprise sur un individu qui, devant moi, est en mon pouvoir, et fera ce que je voudrais qu'il fasse.
Aucune éthique là-dedans, tout au plus des sermons d'hypocrites (« acteur », en grec) qui n'ont rien des serments d'Hippocrate.