Les départs de la prêtrise sont proportionnellement plus nombreux chez  les aumôniers d'étudiants, que chez les vicaires de paroisse. Parce  qu'il est évident que lycéens et étudiants ne se gênent pas pour poser  des questions. D'où la gêne des prêtres, travaillés entre leurs propres  interrogations, les ordres de Rome, et les questions qui leur sont  posées.
On voit qu'il y a un sursaut naturel de ces natures ecclésiastiques. Ce  sont des gens sincères. On ne se fait pas prêtre sans vraiment avoir  une vocation. C'est tout de même, disons un "métier", où on ne s'engage  pas si on n'a pas déjà en soi une pureté de foi. Et ce n'est pas au  moment où on trouve un problème, que cette honnêteté a disparu. Cela  veut dire qu'il y a un sursaut général, naturel, qui vient du fait que  la position du prêtre est anormale en tant que célibataire. Il ne peut  pas être exemplaire en ce qui concerne les familles, et vous savez  combien le foyer a besoin d'être instruit et d'être solide.
Chez les protestants vous n'avez pas de défection comme cela. Parce que  vous avez une filiation, et c'est bien rare que dans une famille de  protestants, il n'y a pas un fils qui va prendre la suite du père.  Parfois deux.
En tout cas le drame de l'Eglise se marque de plus en plus, et je ne  sais pas si Jean-Paul II se laisse leurrer par les foules, lorsqu'il y a  un pèlerinage dans divers pays, où on lui fait des réceptions  fantastiques. Mais même là il ne se rend même pas compte que cette foule  qui est sincère, a besoin de quoi ? D'un support, d'une idole en  laquelle on peut avoir confiance. Peut-être même de laquelle ils  attendent des grâces. C'est un sursaut là aussi, un appel au divin, que  Popaul ne peut pas donner. Quand c'est le peuple, le troupeau si vous  voulez, bon, quelques simagrées rituéliques, une belle cérémonie, ça  fait effet. On a l'impression qu'on a assisté à quelque chose de  spirituel et de divin, mais ça ne va pas plus loin.
Et c'est pourquoi de plus en plus, si la France, dans le dernier numéro  de l'Observateur, se plaint qu'il n'y a plus d'intellectuel philosophe  en France, cela vient justement que les penseurs ne pensent plus comme  il faut, parce que s'il y avait de véritable penseurs en France et même  ailleurs, l'Eglise serait combattue par l'infantilisme qu'elle essaie de  promulguer à des foules qui ont besoin de fantastique, de croire en  quelque chose qui tienne et qui donne confiance.
En ce moment justement en exemple de ce que je viens de vous dire, eh  bien on remet Camus en actualité, on réédite tous ses ouvrages à des  centaines de milliers d'exemplaires. Camus qui a été un écoeuré de la  société, un écoeuré de la vie ; il écrivait très bien donc il était  d'autant plus dangereux dans ses reproches qu'il faisait à la vie et à  tel point qu'on l'a éliminé. Il s'est tué dans un platane, en voiture  bien entendu (il est pas monté dedans), mais ça confirme, on le garde  encore comme un prototype de philosophe. Pffff !
Et voilà la France qui pensait si bien jadis ; voilà ce qu'on nous donne  aujourd'hui, et qu'on donne à nos lycéens, n'est-ce pas, comme thème de  Bac.
Mireille D : Pourquoi, il est pas valable, Camus, dans ses réflexions ?
André : Si, à condition de le critiquer, mais pas à condition de  l'accepter. C'est le défaitisme par excellence. Souffrance d'amour.  C'est un écorché vif. Pourquoi ? Parce qu'il a jamais rencontré à son  contact un philosophe qui pourrait lui redonner confiance et lui faire  voir ce qui représente le mal qui vient de l'homme et pas d'un Dieu  quelconque.
Et il faut reconnaitre que s'il y a des Camus, et à toutes les époques,  c'est de la faute de l'Eglise. On ne peut pas croire à un Dieu tel que  l'Eglise l'enseigne. C'est fatal. A moins d'être béni-oui-oui  attentiste des grâces du ciel. "Ça va p't'être venir…" Alors comme il y a  des hasards partout, il y a quelque fois des hasards qui fleurissent et  qu'on attribue justement au divin. Bon il faut bien que de temps en  temps Il donne un clin d'œil autrement on croirait même plus en lui par  l'Eglise.
Enfin nous sommes à la fin des temps de la pensée.