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« Le "Jugement Dernier", ne peut, ne pourra se faire, QUE sur les paroles dites en tous les temps par les hommes et les responsables des diffusions qui ont conditionné le monde, au TEST du Testament du Christ qui l'a ré-digé au commencement pour qu'en Fin il s'ouvrit et con-Fonde toute la Dispersion, cette "Diaspora" "tra-issante" ou trahissante à travers l'Ordre Divin de Rassemblement. Qui, quelle religion, quelle académie, quelle initiation, s'est voulue assez large de coeur et d'esprit pour rassembler toutes les brebis égarées de la Maison d'Israël, c'est-à-dire, non pas le pays des juifs, mais la Maison de Dieu qu'est le Verbe par TOUT : IS-RA-EL : "l'Intelligence-Royale-de Dieu", contre laquelle l'homme doit "lutter", "l'emporter" (de la racine hébraïque sârôh), ce qu'est en vérité l'antique Iswara-El, cette "Agartha" invisible, enfouie dans les profondeurs de la "Terre", c'est-à-dire de l'Homme, dans ses ténèbres. »

André Bouguénec, Entretien avec l'homme, article Qui est Judas ?

 

 

 

Névrose selon Jung - Varia

Jung réfute l'origine purement historique de la névrose.

Pour Jung, nombre de conflits inconscients à l'origine de troubles névrotiques résultent de la difficulté à accepter cette dynamique qui vient décentrer le sujet conscient de sa position habituelle et le confronter à des parts de lui-même qu'il avait l'habitude d'ignorer.

 

Comportement d'une personne névrosée

« Si vous observez le comportement d'une personne névrosée, vous la verrez faire beaucoup de choses d'une façon apparemment consciente ou délibérée. Pourtant, si vous lui posez des questions, vous vous apercevrez qu'elle n'en a pas conscience, ou qu'elle a tout autre chose à l'esprit. Elle entend sans entendre. Elle voit sans voir. Elle sait, sans savoir.

De tels exemples sont si répandus que le spécialiste se rend compte rapidement que la teneur inconsciente de l'esprit provoque le même comportement que la consciente, et qu'on ne peut jamais déterminer avec certitude, dans ces cas-là, si une pensée, une parole ou une action, est consciente ou non. »

« Mais les phénomènes névrotiques ne sont en aucune façon le produit exclusif de la maladie. Ils ne sont en fait que des exagérations pathologiques de phénomènes normaux, plus faciles à observer en raison de cette exagération même. Des symptômes hystériques peuvent être observés chez toute personne normale, mais ils sont si légers qu'on ne les remarque ordinairement pas. »

C.G. Jung " L'homme et ses symboles ", Robert Laffont, 1964 p 33/34.



Dissociation névrotique

« Plus la conscience se trouve influencée par des préjugés, des erreurs, des fantasmes, et des désirs puérils, plus s'élargit le fossé déjà existant jusqu'à la dissociation névrotique, amenant une vie plus ou moins artificielle, très éloignée des instincts normaux, de la nature et de la vérité. »

 

 

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La théorie de la névrose chez C.G. Jung : la guérison psychique de l’homme moderne par le recouvrement d’une attitude religieuse. L’apport de l’hindouisme et de la culture orientale. Par Audrey Rivet Baillargeon

 

 

L’âme implique une certaine nature propre à l’homme. Comme chez Rousseau ou Hobbes, celle-ci est opprimée par la civilisation selon Jung. Il explique : « Le processus même de la civilisation consiste en un domptage progressif de tout ce qu’il y a d’animalité dans l’homme; il s’agit bel et bien d’une domestication qui ne saurait aller sans révolte de la part de sa nature animale, assoiffée de liberté ». La partie négligée par la civilisation est l’animalité non pas physique de l’homme, mais psychique. En effet, Jung est d’avis que le rationalisme excessif aurait pour effet de vider le monde des éléments superstitieux, irrationnels et mythiques. Or, cette progression « déspiritualise » le rapport de l’homme avec la nature en le forçant à retirer ses projections : « À mesure que la connaissance scientifique progressait, le monde s’est déshumanisé. L’homme se sent isolé dans le cosmos, car il n’est plus engagé dans la nature et a perdu sa participation affective inconsciente avec ces phénomènes ». Le processus de civilisation agirait en ce sens comme limitation dans l’expression de la totalité (l’âme) de l’homme naturel. Ce qu’il faut comprendre est que, pour Jung, les hommes d’autrefois baignaient dans un rapport magique où tout leur paraissait enchanté et mystérieux. Certes, on pourrait dire que ces hommes ne vivaient pas dans le « vrai », mais le danger, qu’y voit le psychologue, est de négliger la valeur et la puissance de l’imagination. Il écrit : « Notre vie civilisée d’aujourd’hui exige une activité consciente concentrée et orientée, ce qui constelle par suite le risque d’une coupure radicale d’avec l’inconscient ». Charles Baudouin insiste également sur l’importance de cette dimension chez Jung : « De ce fait, l’homme moderne raisonne comme si [l’apport subjectif] n’existait pas. Or, cet élément était la projection sur l’écran du monde extérieur, de tout un monde intérieur à nous, auquel il importe de reconnaître maintenant une réalité qui lui est propre ». Si l’homme moderne croit s’être émancipé de sa nature primitive, Jung aime rappeler qu’il ne se situe nullement au-dessus des croyances subjectives et de l’influence de ses dispositions intérieures. Au contraire, « Ses dieux et ses démons n’ont pas du tout disparu. Ils ont simplement changé de nom. Ils le tiennent en haleine par de l’inquiétude, des appréhensions vagues, des complications psychologiques, un besoin insatiable de pilules, d’alcool, de tabac, de nourriture, et surtout par un déploiement impressionnant de névroses ». Jung constate alors que lorsque l’homme est contraint de refouler les besoins instinctifs de son âme au profit des impératifs de la civilisation, il risque de sombrer dans un état de désunion psychique68. Ce qui se produit est, qu’en accordant de l’importance uniquement à sa rationalité, il utilise certaines fonctions et en néglige d’autres, ce qui contraint sa psyché à se développer unilatéralement. Cet état de conflit, de lutte et de contradiction interne, entre sa partie plus « consciente » et ses instincts « primitifs », déclenche ce que Jung nomme la névrose. Il écrit : « Quoi qu’il en soit, c’est un fait qu’un conscient renforcé par une unilatéralité inévitable s’éloigne des images premières au point de provoquer un écroulement. Déjà bien avant la catastrophe les signes de l’erreur s’annoncent sous forme de perte de l’instinct, de nervosité, de désarroi, d’implication dans des situations et des problèmes impossibles, etc. ». Le névrosé est considéré « malade », car il n’a pas conscience des besoins d’une partie de son âme et c’est sa personnalité totale qui en souffre. Le phénomène central du problème névrotique est en ce sens la dissociation de deux aspects complémentaires qui provoque un déséquilibre dans la psyché. Autrement dit, lorsque le sujet ne parvient pas à voir l’autre côté de son être ou lorsque le conscient est coupé de l’inconscient, ce dernier est alors dominé par les forces refoulées, ce qui entraîne des dommages considérables comme le témoigne la névrose. Il faut dès lors comprendre que puisque « la psyché est plus que la conscience », elle recouvre l’ensemble des facteurs psychiques et la névrose est ce qui se produit lorsque l’individu se dissocie de la totalité de son psychisme. Les patients de Jung ne seraient donc pas devenus névrosés s’ils vivaient dans un milieu où les hommes étaient encore reliés à leur inconscient. La coupure les a rendus « d’une part extrêmement disciplinés, organisés et rationnels, mais d’autre part, l’autre face de [leur] être demeura un individu primitif opprimé, coupé de l’éducation et de la civilisation ». La civilisation occidentale devient ainsi le symbole d’une conscience hypertrophiée et un terreau fertile aux épidémies psychiques de nervosité, de désarroi et de désorientation spirituelle. Jung écrit en ce sens : « Mon métier me force à réparer les dégâts causés par les remous d’une perfection de la civilisation poussée à l’extrême ». Bref, sa thérapie propose de mettre le moi de l’individu en dialogue avec son inconscient dans l’objectif d’atteindre une vue plus large (spirituelle) de l’esprit et ainsi guérir l’âme de sa division interne.




Aussi, Jung tente d’appliquer la rigueur de la science à son objet d’étude : l’âme. Cette dernière désigne pour lui « la globalité de la psyché humaine, c’est-à-dire une conjonction majeure des opposés de l’inconscient et de la conscience »


L’influence de la théorie kantienne de la connaissance

Grandement impliquée dans son approche méthodologique, l’épistémologie de Jung s’appuie sur la théorie kantienne de la connaissance. Jung ne cache nullement l’influence de Kant (1724-1804) sur sa théorie.


Il explique encore : « Lorsque je dis, par exemple, que le monde consiste seulement en images psychiques tout ce que vous touchez, tout ce dont vous faite l’expérience, est un reflet parce que vous ne pouvez rien percevoir d’autre; si vous touchez cette table, vous pouvez la croire réelle, mais ce que vous éprouvez là n’est autre qu’un message particulier adressé par les nerfs tactiles à votre cerveau ». Le véritable problème selon le psychologue, est que nous croyons que la réalité est unique et fixe et qu’il nous est possible de l’appréhender du dehors : « Le préjugé est encore de nos jours généralement répandu que le fondement essentiel de notre connaissance nous est donné du dehors ». Or, « qu’est la réalité sensible sinon réalité en nous », demande Jung. Il veut dire par là que la connaissance ne provient pas de l’observation du monde sensible, mais plutôt d’une analyse du monde intérieur : celui de la psyché (ou âme). C’est donc par le processus vivant de l’esprit qui intègre les impressions du réel et les transforme en idées, que se créent pour Jung toutes conceptions de la réalité. Il conclut en ce sens : « le fait que nous ayons une image du monde ne signifie pas qu’il est ainsi. Il s’agit seulement d’une image et non du monde ».



Chapitre 2 : La guérison de la névrose par le recouvrement d’une attitude religieuse

« Peu importe ce que le monde pense de l’expérience religieuse; celui qui l’a faite possède l’immense trésor d’une chose qui l’a comblé d’une source de vie, de signification et de beauté et qui a donné une nouvelle splendeur au monde et à l’humanité ».


LA THÉORIE JUNGIENNE DE LA RELIGION

Une fonction naturelle de l’âmeYsé Tardan-Masquelier, écrivaine, historienne des religions et spécialiste de l’hindouisme, présente dans son ouvrage Jung et la question du sacré, l’essentiel de la pensée de Jung concernant, selon elle, « une préoccupation qui l’a habité tout au long de sa vie, et qui lui paraît être inhérente à tout être humain; le phénomène religieux ». S’il est bien connu que la religion est présente dans la pensée de Jung, il est peut-être plus surprenant de se rendre compte que toute sa thérapeutique tourne autour du recouvrement d’une attitude religieuse. En effet, Jung occupe une place éminente dans l’histoire de la psychanalyse, car il n’a pas exclu la question spirituelle du champ de l’investigation scientifique, il en a plutôt fait son objet d’étude. Dans sa perspective, la science ne serait aucunement opposée à la religion. C’est une différence dans le discours qui expliquerait les incompréhensions d’une discipline envers l’autre. Jung écrit au sujet de la dichotomie des discours : « Alors que la physique est consciente que ses propos renvoient à des modèles, les philosophies religieuses s’expriment en termes métaphysiques et hypostasient leurs images ». Le psychologue soutient que la science tient compte de ce qui existe tandis que la religion s’occupe des images, pensées, symboles et croyances qui dépassent le monde physique. Jung s’inspire de la vision de William James (1842-1910) qui considère la religion comme une « expérience ». Il constate que les idées à caractère religieux se rencontrent presque en tout lieu et à toute époque et semblent surgir spontanément dans l’esprit, indépendamment des traditions et de leur matérialisation. Si « ces idées ne sont pas fabriquées par des individus : elles se produisent et surgissent en eux […] », c’est qu’il faut admettre que l’homme est foncièrement religieux. Ce que Jung appelle « l’homo religiosus » est une propriété naturelle de l’âme humaine 138. Il écrit à ce sujet : « La religion est sans contredit une des manifestations les plus anciennes et les plus générales de l’âme humaine ». La religion, comme il l’entend, est en ce sens une attitude de l’esprit, c’est-à-dire une expérience primordiale et fondamentale sur laquelle les religions dites « particulières » se sont érigées. Ainsi, la psychologie analytique de Jung ne traite pas la religion au sens sociologique ou anthropologique. Elle « s’occupe de l’expérience religieuse primordiale, indépendamment de ce que les confessions en ont fait ». Puisque sa psychologie a comme préoccupation la structure psychologique de la personnalité de l’homme moderne, elle doit nécessairement prendre en compte l’aspect religieux comme une dimension, non plus uniquement sociale ou historique, mais fondamentalement personnelle.


La fonction religieuse de l’âme humaine provient, comme sa méthodologie le veut, de l’observation directe des malades dans son cabinet et non de postulats spéculatifs. De ses observations, Jung prétend détenir des données empiriques au sujet de la manifestation du religieux dans l’âme humaine. Il écrit : « Cette fonction je ne l’ai ni inventée, ni introduite dans l’âme par des interprétations plus ou moins fallacieuses : l’âme la crée d’elle-même sans y être poussée par quelque opinion ou suggestion que ce soit ».


Cette dernière relève plutôt de la métaphysique et de la théologie, ce qui dépasse sa compétence de psychologue. Jung est convaincu qu’il existe dans la psyché un facteur complexe qui représente une fonction de l’inconscient et que les gens y font référence en employant le terme dieu. Elie G. Humbert, psychanalyste, fondateur et rédacteur en chef des Cahiers Jungiens de psychanalyse explique au sujet de l’expérience religieuse chez Jung : « Le divin est empirique parce qu’il est une qualité de l’expérience et il est transcendant parce qu’il se vit comme un rapport à quelque chose qui dépasse le conscient ». Jung ne ferme cependant pas la porte à l’existence hors psychique des images divines, ce qui l’a mené à être accusé de mysticisme par les milieux scientifiques et d’athéisme par les communautés religieuses. S’il y a là une grande divergence de lectures, c’est que son œuvre est ambigüe, complexe et volumineuse, ce qui rend difficile sa vulgarisation. C’est du moins la position du commentateur Raymond Hostie, qui croit que « des jugements aussi discordants et des condamnations aussi contradictoires lui donnent le droit de leur opposer en bloc une fin de non-recevoir », et explique ces accusations comme une mauvaise interprétation de la part des critiques, qui « se sont bornés à l’analyse d’une seule œuvre ou d’une seule période dans la production volumineuse de Jung ».



Une psychologie de la religion

Reprenons la problématique qui nous intéresse, à savoir comment l’attitude religieuse peut guérir la névrose. Comme nous l’avons présenté, pour la psychologie analytique la névrose représente une coupure avec une partie de la personnalité totale du sujet. Nous avons également exposé en quoi Jung considère l’âme comme naturellement religieuse. Dès lors, si l’âme humaine possède un aspect fondamentalement religieux et que se couper d’une part de soi- même peut provoquer la névrose, alors tout individu dissocié de sa partie spirituelle risque de souffrir de divers troubles névrotiques importants. Pour Jung, l’expérience religieuse peut être salvatrice, car elle transforme l’homme tout entier en lui permettant de se reconnaître comme étant attaché à quelque chose de divin, c’est-à-dire à une réalité qui le transcende et l’illumine. Il déclare en ce sens : « De tous mes malades qui avaient franchi le seuil de la moitié de la vie, c’est-à-dire plus de trente-cinq ans, il n’en est pas un seul dont le problème le plus profond n’a pas été constitué par la question de son attitude religieuse. […] aucun n’a été réellement guéri qui n’a pas recouvré en même temps une attitude religieuse ». Nous nous intéressons ici à l’expérience religieuse pour Jung et à son impact sur l’âme. Nous voulons savoir quelle est la valeur herméneutique ainsi que le point de départ du rapport de Jung à la religion.



Cette puissance est ce qu’Otto qualifiait de « numineux ». En effet, celui-ci « marque l’impact, en l’âme, de la relation avec la transcendance [et] active un grand nombre d’émotions, conscientes ou inconscientes, provoquant ainsi une transformation ». Le sujet qui vit une expérience directe du numinosum la ressent comme « un effet dynamique qui ne trouve pas sa cause dans un acte arbitraire de volonté ». Il s’agit en ce sens d’une rencontre intense et puissante avec un phénomène qui n’est pas atteignable par la conscience et donc ressentie comme « tout autre ». Cette rencontre est pour Jung un évènement qui se produit dans la psyché, mais qui provient ailleurs que de la conscience. La religion est alors décrite comme « une relation vivante avec les processus mentaux qui ne dépendent pas de la conscience, mais qui se produisent au-delà d’elle, dans l’obscur arrière-plan de l’âme ». Par conséquent, la religion représente une attitude inconsciente et naturelle de l’âme humaine.


Le Soi comme fonction transcendante

Élaborée dès 1916 dans un article qui demeurera inédit jusqu’en 1957, la fonction transcendante est un phénomène compensatoire qui tend à faire émerger, au moyen du langage symbolique, des éléments qui étaient encore inconnus à la personnalité consciente. Si la fonction transcendante est abordée par Jung à plusieurs reprises dans les écrits antérieurs à 1957, ses modalités sont toutefois précisées et clarifiées de façon plus substantielle autour des années soixante. Dès le départ, cette fonction est utilisée pour rendre compte de la dialectique entre le conscient et l’inconscient : « Cette fonction commune, cette sorte de symbiose du conscient et de l’inconscient qui crée des rapports avec le symbole, je l’ai appelée fonction transcendante ». En fait, la fonction transcendante vise à compenser l’attitude unilatérale de la psyché, en présentant des éléments qui pourraient être refoulés. On appelle « transcendante » cette fonction de la psyché, car son but est d’amener les différentes composantes psychiques à se dépasser en se confrontant à leur contraire. Il s’agit d’une dialectique entre les deux pôles de la psyché qui débouche dans une réconciliation des opposés correspondant à ce que Jung a nommé le Soi. L’expression n’a cependant rien à voir avec un arrière-plan métaphysique comme pourrait le laisser entendre le terme transcendant. Charles Baudouin explique : « [Jung] précise bien d’abord qu’il ne faut pas comprendre ici ce terme transcendant dans un sens métaphysique; il s’agit encore, si l’on y regarde de près, d’adaptation, mais d’adaptation intérieure cette fois, entre des opposés qui ne peuvent être réconciliés que par un dépassement ». Si Jung utilise parfois des termes qui rappellent ceux de la théologie, c’est davantage à cause de la pauvreté du langage que de la croyance à la similarité des objets. C’est pour symboliser le fait que les manifestations de l’inconscient font irruption dans la conscience et qu’ils sont souvent ressentis comme venant d’ailleurs ou comme appartenant à autre chose qu’au moi, que Jung nomme cette fonction « transcendante ». En effet, il semble à Jung que le mariage des deux sphères de la psyché implique la production d’une nouvelle entité qui, par les caractéristiques que nous lui avons reconnues précédemment (notamment son impression de transcendance et de supériorité), est associée au concept de Dieu. L’expérience qui découle de la rencontre du Soi mène alors à adopter une attitude religieuse, dans la mesure où l’individu entre en contact avec un état qui transcende son ego et s’empare de lui. Puisque cet état le dépasse, la seule façon dont il « nous est possible de l’appréhender, semble pour l’essentiel être la recherche et la poursuite instinctive de la réalisation de soi même ». C’est en s’efforçant quotidiennement et sur une longue période de temps de prendre les éléments du monde intérieur comme des données importantes sur la personnalité et sur ce qu’elle doit devenir, que l’individu pourra se rapprocher de sa vraie nature, de sa personnalité complète, de son Soi. Comme l’écrit Tardan-Masquelier : « On habite son moi et on chemine vers le Soi par le processus d’individuation qui est toujours à faire ». Ainsi, l’objectif thérapeutique est d’intégrer les besoins de l’inconscient en vue d’élargir le spectre de la conscience et faire évoluer la psyché. Puisque la fonction transcendante implique l’émergence spontanée d’un contenu inconscient, il semble à Jung qu’elle agit tel un processus naturel d’une psyché qui tend à s’auto-guérir et s’autoréguler. En ce sens, la guérison de la névrose est étroitement liée au religieux chez Jung, dans la mesure où « la psychonévrose […] est une souffrance de l’âme qui n’a pas trouvé son sens » et l’expérience du Soi permet à l’homme de s’attacher à une instance supérieure qui « le comble d’une source de vie, de signification et de beauté ». Si pour Jung la névrose est indiscutablement liée à la sécularisation, il semble que la rencontre du Soi puisse résoudre la dissociation dans l’âme humaine. Voyons maintenant comment une inflation du moi peut contribuer au problème névrotique en maintenant dans l'inconscient les aspects sombres, et en quoi ces aspects les plus bas de la personnalité peuvent contribuer à la réalisation du Soi.


LA GUÉRISON GRÂCE À L’ALTER EGO

Le concept d’ombre

L’ombre occupe une place centrale dans la réalisation de la totalité psychique, objectif premier de la psychologie des profondeurs199. Elle apparaît d’abord à Jung dans un rêve qu’il fait durant la crise qu’il traverse au cours des années 10, mais ce n’est que bien plus tard, soit en 1928 dans sa Dialectique du moi et de l’inconscient200, qu’elle est davantage développée. L’ombre est constituée des contenus de l’inconscient personnel, c’est-à-dire tous les éléments de la personnalité que le moi juge pénibles et regrettables. Jung utilise le terme « ombre » pour symboliser « tous ces désirs barbares et ces émotions incompatibles avec les normes sociales et notre personnalité idéale, tout ce qui nous rend honteux, tout ce que nous voulons ignorer sur nous-mêmes ». Comme tous les processus de l’inconscient, l’ombre est dans un rapport de complémentarité ou de compensation vis-à-vis les contenus du conscient. Elle représente en ce sens « la contreface et la contrepartie du moi qui s’est constitué et construit sous le regard des autres pour faire face au monde ». C’est parce que le moi ne reconnaît pas ces éléments comme les siens que ceux-ci basculent dans « l’ombre », c’est-à-dire dans la partie obscure de la psyché : l’inconscient. Le commentateur Charles Baudouin écrit : « Nous savons assez que des éléments du moi peuvent tomber dans l’inconscient, en bref qu’il existe un inconscient personnel. C’est lui en somme que désigne essentiellement, dans un langage plus imagé, le terme d’ombre ». Bien que les éléments aient basculé dans l’inconscient, ils agissent tout de même sur l’individu, mais cette fois sans son consentement. Frieda Fordham, psychanalyste formée à l'institut jungien de Londres, le souligne avec une image tirée du célèbre roman de Robert Louis Stevenson : « Cet autre aspect de nous-mêmes que l’on trouve dans l’inconscient personnel, Jung l’appelle l’ombre. C’est notre être intérieur, celui qui veut faire tout ce que nous ne nous permettons pas, qui est tout ce que nous ne sommes pas, le Mr Hyde de notre Dr Jekyll ». Ce qu’il faut comprendre c’est que la mise à l’écart des éléments jugés inférieurs leur confère une force et une énergie supérieures. En effet, plus ces éléments sont dans l’ombre de la conscience, plus leur force d’impact est grande, car ils accumulent une quantité d’énergie qui devra tôt ou tard se manifester. Comme l’indique Jung : « chacun est suivi d’une ombre et moins celle-ci est incorporée à la vie consciente de l’individu, plus elle est noire et dense ». Bien que l’ombre concerne les faiblesses inconscientes de l’individu, il importe de souligner que Jung n’en fait pas l’opposé du conscient ni un complexe négatif. Elle symbolise plutôt ce qui manque à chaque personnalité, tel un bienfait qui aurait été refoulé ou une contrepartie naturelle au processus de développement. De ce fait, « l’ombre a une nature ambivalente : à côté des aspects négatifs, elle incarne aussi ce qui a été négligé dans l’édification de la personnalité consciente, le potentiel de l’individu ». Plus encore, Jung est d’avis qu’« elle contient même certaines qualités enfantines ou primitives qui pourraient dans une certaine mesure raviver et embellir l’existence humaine ». Ainsi, c’est parce qu’elle représente une partie non assumée par la personnalité consciente que nous la jugeons inférieure, inadaptée et primitive, mais du point de vue de la psyché globale, elle représente un pôle naturel et complémentaire au moi, qui demande à être intégré à la vie conscience. La difficulté est cependant colossale, car l’o mbre implique d’envisager qu’il y ait des informations au sujet de notre prop re personnalité dont nous sommes ignorants, pis encore, elle ouvre sur la réalité de nos défauts et de nos erreurs. Accepter le déraisonnable, l’insensé et le « mauvais » en soi- même est une entreprise de taille. Elle exige une connaissance approfondie et une acceptation de nos fonctions inférieures qui nous apparaissent souvent comme péjoratives. La thérapeutique de Jung invite donc l’individu à tourner son visage vers les aspects ombragés de sa personnalité dans l’optique de les porter à la lumière : « si une infériorité est consciente, on a toujours la chance éventuelle de la corriger. […]. Mais si elle est refoulée et isolée de la conscience, elle ne sera jamais corrigée ». Dès lors, il faut comprendre que le problème névrotique est essentiellement une coupure fondamentale avec l’ombre et que le rapport pourra être rétabli si l’individu prend conscience des aspects de sa personnalité qu’il ne reconnaît pas comme les siens puisqu’ils sont inacceptables par rapport à l’image qu’il veut donner aux autres de lui- même.


L’ombre comme aspect primitif de la psyché

Dans son livre Essai d'exploration de l'inconscient, Jung spécifie en note de bas de page que l’ombre a deux sens : tantôt elle désigne la somme des défauts du moi et tantôt le psychisme obscur de l’homme. Le premier sens est celui qui a été expliqué plus haut. Le deuxième, quant à lui, renvoie au fait que l’ombre dépasse étrangement tout ce qui est du domaine personnel et représente, au même titre que le Soi, un archétype qui fait intrusion dans la psyché. Puisque l’ombre est une forme générale qui peut se référer à plusieurs contenus particuliers, Jung parlera de l’archétype de l’Ombre. La plupart du temps, lorsqu’il est question de l’ombre dans un texte de Jung, c’est presque toujours dans le premier sens qui a été défini. Néanmoins, un aspect qui nous semble important dans l’Ombre en tant qu’archétype c’est sa dimension collective.



La différence entre l’homme archaïque et l’homme moderne se situe plutôt au niveau du savoir conscient, au sens d’une condition de pleine conscience des pensées. Dans cette perspective, les hommes primitifs « mènent une vie humaine, bien sûr; ils pensent et ils aiment, ils souffrent et ils se réjouissent, sans aucun doute, mais ils ne le savent pas consciemment ». Jung est d’avis que le primitif ne peut pas prétendre qu’il pense, car sa pensée découle plus d’une irruption de l’inconscient que d’un travail causal de la conscience. Les pensées lui apparaissent comme des réalités externes dont il ne se sent pas l’auteur, de sorte que l’acte de penser ne se trouve pas lié à sa conscience, mais à son inconscient. L’Ombre en tant qu’archétype implique donc l’existence d’un caractère plus primitif dans l’homme.


« Je ne dis pas qu’il est primitif, mais que la démarche de sa pensée me rappelle la façon primitive de produire des idées ». L’homme archaïque peut donc être doté d’intelligence et de sens moral, « mais toutes ces qualités et ces défauts n’ont rien à voir avec le fait qu’il est peu ou pas conscient ».


La projection de l’ombre ou le phénomène de la participation mystique

La projection de l’ombre

L'ombre, ou la fonction inférieure, se caractérise principalement par le mécanisme psychique de la projection. Par projection Jung entend « ce phénomène singulier par lequel un individu imprime sur un objet ou un être du monde ambiant une teneur ou une tonalité psychique qui est en propre et en vrai un trait de sa vie intérieure ». L’ombre, comme nous avons montré, représente la contrepartie de la personnalité consciente, ce pourquoi elle est dérangeante pour le moi. Si « le plus souvent elle est projetée dans des troubles somatiques, des obsessions, des fantasmes plus ou moins délirants, ou dans l’entourage », c’est qu’il paraît souvent plus simple de la projeter sur autrui que d’intégrer ses qualités à la personnalité consciente. Selon Jung, il en résulte bien souvent une perception erronée qui confond l’étranger et le méchant, c’est-à-dire que l’individu voit en l’autre tous les défauts qu’il ne peut assumer en lui- même et qui constituent son ombre. Charles Baudouin écrit : « Commandée par le mécanisme de projection, l’Ombre apparaît, comme tout ce qui ne nous est pas conscient. Transférée sur un objet : ainsi c’est toujours « l’autre qui a tort» lorsque l’on n’a pas conscience que l’obscur se trouve en nous-mêmes ». Plus encore, pour la psychologie des profondeurs les conflits, les guerres et la plupart des mésententes proviennent d’une projection de l’ombre. Si « un être humain suppose toujours chez autrui sa propre psychologie », c’est qu’il postule naïvement une égalité psychologique entre les hommes. En supposant que le monde est tel qu’il se le représente, il se crée alors un réseau de significatifs et de références basées sur ce jeu de projection qui place la psychologie de l’homme dans un rapport d’identification au réel. Selon Jung, « ce préjugé est manifestement une survivance puissante d’un état d’esprit primitif qui repose au fond sur une différenciation insuffisante de la conscience individuelle ». En effet, après avoir observé le phénomène de la projection chez ses malades, Jung conclut qu’il s’agit là d’un cas typique de régression à un état archaïque. Elie Humbert, explique : « Une part considérable du psychisme de chaque individu est projetée dans l’environnement au point que le sujet n’a aucun moyen de se l’attribuer à lui-même. C’est ce que Jung appelle l’identité archaïque ». L’identité archaïque doit être comprise comme ce qui « désigne le caractère antique de contenus ou fonctions psychiques. […]. L’archaïsme est évidemment inhérent avant tout aux fantaisies de l’inconscient, aux produits de l’activité imaginative inconsciente qui atteignent le conscient ». Ce qu’il faut comprendre c’est que la projection est un procédé qui relève d’un fonctionnement psychique primitif. Ce phénomène psychique crée alors une identité archaïque, c’est-à-dire un état où l’individu, tel l’enfant, s’identifie à ce qui l’entoure. Pour la psychologie de Jung, l’individuation, c’est-à-dire l’émergence réellement de l’individualité, commence lorsque l’homme prend conscience que son esprit existe séparément des autres. L’ombre cesse alors d’être projetée et l’individu peut sortir du fonctionnement primitif qui le poussait à projeter à l’extérieur le contenu de son inconscient.




C’est en fait parce que le primitif manque de conscience sur l’origine de sa pensée qu’il projette sans le vouloir son inconscient et ses contenus sur le monde extérieur.


La projection comme problématique contemporaine


En greffant des mirages et des fantasmes à bon nombre de ses perceptions, l’individu n’a pas conscience de sa compénétration avec l’objet et c’est pourquoi celui-ci exerce tant d’influence sur lui. Ce qui se produit au niveau psychique, c’est que les idées contenues dans l’inconscient font irruption dans l’esprit et prennent possession du moi. Jung nous dit conséquemment : « Les éléments du monde intérieur nous influencent subjectivement de façon d’autant plus puissante qu’ils sont inconscients […] ». C’est en effet parce qu’elles ne sont pas portées à la conscience que les affects dominent le moi. Le danger psychologique réside alors dans l’éventualité que le moi ne puisse plus se défendre face au surgissement des éléments émotionnels. Dissocié de l’équilibre et de la rationalité qu’aurait pu lui fournir la gouvernance du moi, l’individu devient victime de son primitif intérieur, c’est-à-dire soumis aux sentiments et en proie aux humeurs déraisonnables. N’étant pas portés à la conscience, les affects augmentent en puissance ce qui constitue un réel danger, car l’individu laisse alors libre cours aux tumultes de son monde intérieur. Si « l’identification à l’inconscient signifie une certaine faiblesse de la conscience, et c’est là que gît le danger »


L’intégration de l’ombre par le processus d’individuation

Le problème qui émerge avec la projection de l’ombre est de savoir comment est- il possible de dépasser, ou plutôt de résoudre le conflit qui oppose le moi aux effervescences de l’inconscient ? Si la scission avec le primitif intérieur est la cause de plusieurs troubles de l’âme, telle la névrose, comment arriver à guérir la psyché devenue pathologique ? En quoi l’ombre peut-elle contribuer à résoudre le problème névrotique et comment arriver à sortir de la participation mystique ? La réponse à toutes ses questions réside dans ce que Jung appelle le processus d’individuation. Le psychanalyste voit dans le monde moderne occidental un grand manque qui se manifeste dans une généralisation du problème névrotique. Jung constate que son époque est désemparée, car elle est profondément coupée d’elle- même, c’est-à-dire des forces inconscientes inscrites dans la structure de l’âme. Le processus d’individuation agit ici « comme une voie de guérison pour l’âme malade ». Il permet à l’individu de devenir un être réellement individuel, c’est-à-dire un être ayant accompli sa nature la plus profonde et véritable. Il s’agit en ce sens d’un processus naturel et spontané de transformation intérieure, où l’analyse a pour rôle de favoriser la maturation par laquelle un être devient un sujet psychiquement autonome et différencié. En permettant à l’individu de prendre conscience des différentes parties de sa personnalité, l’individuation rend possible l’assimilation progressive des images inconscientes et ainsi le retrait de la projection des contenus psychiques sur autrui. Pour Jung, c’est ici que débute l’une des phases les plus importantes du processus d’individuation : l’intégration de l’ombre. Cette expérience est comprise par le psychologue comme une confrontation entre l’homme et ses identifications imaginaires, c’est-à-dire une remise en cause de ses habitudes et de ses croyances. Cette prise de conscience est difficile, car elle demande à l’individu non seulement d’effectuer une critique sans merci de son être, mais d’apprendre à vivre avec les aspects souvent terrifiants de sa personnalité, ce qui implique un effort moral considérable et l’abandon de plusieurs idéaux. Conséquemment, Jung nous dit : « Imaginez un homme qui soit assez courageux pour retirer, sans exception, toutes ses projections et vous aurez un individu qui aura pris conscience d’une ombre étonnamment épaisse ». Il s’agit d’une rencontre bouleversante qui ébranle tout l’ordre du conscient, car elle soulève la grande opposition entre le moi et l’ombre. Le commentateur Christian Gaillard explique à son tour ce phénomène chez Jung : « Si la psyché, comme il le montre, est d’abord le monde dans lequel on se trouve pris, si elle y participe sur un mode d’abord indissoluble et indistinct, l’analyse de la projection conduit chacun à se dégager de cette emprise en y reconnaissant sa propre mise ». Ainsi, l’être qui s’individualise prend conscience du contenu de son esprit et de ce qu’il greffait au monde extérieur. En se différenciant de l’objet externe, il réussit par le fait même à sortir de la participation mystique : « Il s’agit en l’occurrence d’un effet que je connais de par ma pratique médicale; c’est l’effet thérapeutique par excellence, vers lequel je tends avec mes élèves et mes patients, à savoir le dénouement de la participation mystique ». Un exemple de progression pourrait être celle d’un homme extirpé de l’état primitif qui comprendrait « ces esprits comme des réalités appartenant à sa psyché et provenant de son inconscient ». Le processus accomplirait ici sa première phase, c’est-à-dire le retrait des projections. Jung attribue en ce sens une condition de réalité à l’intégration de l’ombre, car elle force l’individu à se constituer en tant que sujet. La réconciliation de sa double nature, archaïque et civilisée, lui permet d’atteindre un état conforme à l’entièreté de son être et ainsi réaliser une totalité nouvelle. S’individuer veut donc dire devenir quelque chose d’inconnu; devenir autre chose que le moi. Cette « autre chose » n’est pas hors du moi, mais l’inclut. Par la réalisation et l’intégration de contenus inconscients dans la conscience, ce qui naît est en fait une personnalité supérieure, c’est- à-dire plus consciente et plus intégrée, donc plus près du Soi. L’individu qui reconnaît la moitié obscure de sa personnalité chemine vers lui- même, de sorte que son ombre est la véritable porte qui ouvre vers le Soi. Celui qui a franchi cette porte s’est réconcilié avec les aspects de sa personnalité qu’il avait négligés et compose maintenant avec « l’autre en lui- même » Son assimilation est une expérience fondamentalement religieuse, car l’individu y rencontre quelque chose de plus grand que la conscience. Baudouin explique : « il arrive que ce chemin, sans que nulle pression soit exercée, ramène certains sujets vers une foi perdue; il en oriente d’autres vers une foi nouvelle; mais lors même que nulle adhésion doctrinale n’en résultera, c’est l’expérience générale de Jung que le sujet, réaccordé à lui-même et au monde, aura par cette voie retrouvé un sens ». Bref, le problème névrotique est essentiellement un refoulement de l’ombre qui peut se guérir par le retrait des projections qui consiste à intégrer dans la conscience les aspects inférieurs de sa personnalité. Ce processus qui élargit la conscience est au final identique à l’expérience religieuse telle que décrite par Jung. Tous deux (la rencontre du Soi et l’expérience religieuse) permettent au moi d’entrer en relation avec ce qui se trouve à l’extérieur de lui, soit les données qui lui sont inconnues (inconscientes). L’intégration de l’ombre est donc une expérience religieuse dans la mesure où elle introduit dans la conscience le « tout autre », ce qui fera cheminer l’individu vers l’archétype suprême : le Soi. Voyons maintenant comment l’Orient permet à Jung de confirmer sa théorie sur la psyché, mais aussi en quoi il incarne l’ombre pour l’homme occidental et de quelle manière son étude contribuerait à la guérison de la névrose.



Sagesses orientales

Cette phrase montre que l’attitude de Jung envers l’Orient n’est pas d’approfondir ses connaissances ni d’y trouver des méthodes spirituelles, mais plutôt de s’en servir comme d’un tertium comparationis, c’est-à-dire comme un outil de comparaison auquel l’individu doit « se confronter ». Le choix de cette formulation illustre à quel point son approche de l’Orient est existentielle, car c’est tout le bagage d’une culture qui se confronte à une autre et qui crée, au final, le doute. Or, le doute est précisément une situation existentielle, c’est-à-dire une nouvelle ouverture d’esprit que l’on n’avait pas avant la confrontation. Le doute ainsi créé par la confrontation avec l’Orient révèle à l’Occidental ce qui lui manque. Avec ces nouvelles informations, l’individu chemine vers sa totalité intérieure et découvre en lui quelque chose de nouveau qui lui permet de consolider sa personnalité. Ce processus qui, comme démontré précédemment, permet de résoudre les problèmes névrotiques, est ce qui semble être le motif réel derrière l’intérêt que porte Jung aux religions orientales.


La Maya est de fait une erreur de perception issue de la conscience qui distingue et catégorise le réel. L’état libéré du monde de l’ignorance (nirdvandva) et de ses pôles antagonistes, est à l’image de ce que Jung a nommé le Soi. La thérapie jungienne semble, sous certains aspects, être le pendant scientifique occidental du désir d’union métaphysique des Upanishad. Bien que la psyché hindoue soit considérée par Jung comme étant moins égocentrique « essentiellement collective et en majeure partie totalement inconsciente », elle n’est toutefois pas à l’abri de certains dangers. Analysons en détail les réticences de Jung face à l’approche orientale.


Danger du décentrement du moi

Le principal problème que voit Jung dans la conception orientale est qu’elle fait de l’inconscient une grandeur déterminante alors que la conscience du réel s’évanouit entièrement431. En effet, par la tentative du détachement du monde Maya, l’individu tente d’atteindre un état supérieur et transcendant qui le placerait dans une sorte d’extase et de communion avec ce qui l’entoure. Cette fusion avec le Tout cosmique (Brahman) comporte le danger de refouler le moi. En s’éloignant du monde qu’il juge comme illusoire, l’homme oublie son monde égotique, qui se trouve alors subordonné à cette grandeur indifférenciée qu’il découvre. Il n’est plus un « je », car son « moi disparaît totalement dans cet état «supérieur». Celui-ci se trouve en fait aliéné et englobé par la totalité du Soi. Pour le psychologue, un état psychologique dépourvu du moi est forcément un état baigné dans l’inconscience. Jung écrit à ce sujet : « Je vois dans cette remarquable expérience un phénomène de détachement de la conscience, grâce auquel le
« je vis » subjectif devient un cela me vit ». Le fonctionnement psychique qui imprègne la métaphysique indienne est considéré en ce sens comme gouverné par les lois de l’inconscient. Cette domination de l’inconscient dans le rapport au monde est un trait de ce que nous avons présenté au chapitre 2, à savoir la participation mystique. C’est ce qui permet à Jung de présenter l’esprit de l’Inde comme un vestige de l’âme primitive. Bien que le présent ouvrage tende à montrer l’apport de la vision orientale à la thérapeutique jungienne, il importe de souligner que Jung ne considère pas la position orientale sur la réalité comme supérieure à la vision rationnelle et empirique de l’Occident. Il est vrai que le psychologue s’inspire de la métaphysique hindoue afin d’élaborer un modèle qui fait du moi un complexe parmi d’autres. Néanmoins, il demeure d’avis que le moi est important et qu’il ne faut pas le dissoudre pour atteindre un état libéré des contraintes des opposés. Selon lui, « l’idée que nous puissions être des choses entièrement spirituelles est une inflation », car une conscience sans moi (une conscience Atman), est impossible à réaliser pour les hommes. Tant qu’il y a des perceptions, il y a un sujet qui perçoit. Il critique en ce sens l’aspect purement spirituel de la conception orientale du Soi. Dans une lettre au sociologue hollandais Gualthernus H. Mees, Jung aborde les réalisations du maître Shrî Ramana Maharshi : « J’aimerais savoir en quoi consiste sa réalisation du Soi, et ce qu’il a réellement fait. S’enfuir de chez ses parents, et d’autres histoires de ce genre, nous connaissons cela aussi de par nos saints! Mais ces saints-là ont fait dans une certaine mesure quelque chose de réel--- quand ce n’aurait été qu’une croisade, ou un livre, ou le Canto di sole ». Quoiqu’un peu rude, Jung exprime son questionnement quant à la réalisation du Soi en Inde. Pour accomplir l’être dans sa totalité, l’homme doit se tourner vers son monde intérieur et être attentif aux processus qui s’y déroulent, sans négliger sa vie active. La psychologie de Jung propose donc de construire une personnalité solide qui s’intègre dans le monde en participant à la vie humaine. Une vie qui ne serait que dédiée à la méditation, au repos et à la transcendance ne réaliserait pas le potentiel total et entier de la personnalité humaine : elle ne réaliserait pas vraiment le Soi. Cette vie serait plutôt caractérisée par une soumission au Soi, un abandon total et complet à la réalité suprême. C’est en fait ici que réside la nuance et le jeu d’équilibre de la thérapeutique jungienne, qui demande toujours de considérer les besoins de l’inconscient sans quitter le port d’attache que représente le moi. Cette dialectique correspond à un double mouvement, l’un tend à « donner la parole aux facteurs inconscients, l’autre y réagit par la fermeté des valeurs du moi et de ses buts ». Dès lors, « le but ultime pour Jung n’est pas la fusion dans un grand Tout, mais le passage du Moi au Soi, dont le résultat, à savoir l’accès à la maturité par l’intégration des contraires, implique un enrichissement de la personne, qui acquiert un nouveau rapport, harmonieux, à l’esprit et au monde, et une indépendance accrue par rapport aux circonstances extérieures ».

Cette idée se reflète dans la pensée de Jung, lorsqu'il écrit : « au lieu d’apprendre par cœur les techniques spirituelles de l’Orient et de les imiter, il serait plus important de découvrir s’il existe dans l’inconscient une tendance introvertie qui ressemble au principe spirituel conducteur de l’Orient ». Cette citation est cruciale pour saisir la place que Jung attribue à la religion hindoue dans sa thérapeutique, mais également à l’ensemble de l’approche orientale. Elle met de l’avant l’idée, esquissée au début du chapitre, que l’Orient est utilisé à des fins heuristiques, c’est-à-dire comme un enseignement à trouver dans l’intériorité du sujet. Jung explique à ce sujet à l’écrivain Miguel Serrano, ambassadeur du Chili en Inde : « L’Occidental est en quelque sorte divisé entre sa personnalité consciente et inconsciente […]. Il faut unir l’être conscient à l’homme primitif […]. L’Inde nous donne l’exemple d’une civilisation qui a intégré tout ce qui est essentiel à la pensée primitive, et par conséquent, l’être humain y est considéré comme un tout ». La simple étude de la tradition orientale pourrait aider l’Européen à découvrir l’autre partie de son âme et ainsi prendre conscience de son ombre. Dès lors, chez Jung « la relation à l’Autre oriental s’inscrit toujours dans un champ de tension caractérisé par la prise de conscience d’un antagonisme et la recherche d’une complémentarité ». Cette idée était déjà présente chez Mircea Eliade : « Il ne s’agit nullement d’inviter les savants européens à pratiquer le yoga ni de proposer aux diverses disciplines occidentales d’appliquer les méthodes yogiques ou d’adapter leur idéologie. Une autre perspective nous semble bien plus féconde : celle qui consiste à étudier le plus attentivement possible les résultats obtenus par de telles méthodes d’exploration de la psyché ». L’Européen a donc tout intérêt à observer la psychologie de l’Est, car cela peut lui permettre de réaliser la part de lui qu'il néglige et cette nouvelle perspective le fera évoluer vers une instance supérieure et transcendante.


Conclusion

« Nous portons notre passé avec nous, à savoir l’homme primitif et inférieur, avec ses avidités et ses émotions, et c’est seulement par un effort considérable que nous pouvons nous libérer de ce fardeau. Lorsqu’un être arrive à la névrose, nous avons invariablement affaire à une ombre considérablement intensifiée. Et si l’on veut aboutir à la guérison d’un tel cas, il est indispensable de l’aider à trouver une voie selon laquelle sa personnalité consciente et son ombre pourront vivre ensemble ».

Reprenons ici les étapes de la démarche exposée dans cette recherche. Tout d’abord, nous avons vu que chez Jung la névrose est une problématique qui met en opposition deux parties complémentaires de la psyché. La partie refoulée qui provoque la névrose se nomme l’ombre. Cette dernière, désigne en premier lieu la sphère individuelle jugée par la conscience comme mésadapté socialement. Lorsque l’ombre n’est pas conscientisée, nous avons montré qu’elle peut se projeter dans le monde extérieur, c’est-à-dire chez un autre individu ou même dans une autre culture. Les éléments des religions orientales illustrent à cet effet certains symboles contenus dans l’esprit de l’Occident moderne. La conscience qui découvre les éléments demeurés dans l’ombre s’élargit, ce qui permet au sujet de s’individuer et cheminer vers une personnalité plus complète et intégrée. C’est l’enjeu de toute la thérapeutique jungienne de favoriser la compréhension des différentes parties qui habitent l’être névrosé. Cette thérapeutique s’appuie sur l’idée qu’en comprenant ce qui se joue en lui, l’individu se libère de l’emprise et de la fascination de ces éléments tumultueux. Jung précise lui- même : « c’est par la compréhension que nous nous libérons de la domination de l’inconscient ». Comprendre, chez Jung, veut dire découvrir son inconscient et ainsi arrêter sa projection extérieure. Celui qui est libéré de la participation mystique peut entamer un chemin de guérison, car il laisse consciemment ses aptitudes se développer sans entrave. Cette individuation débute généralement chez Jung par une confrontation avec l’ombre, c’est-à-dire une rencontre avec des caractéristiques auparavant inconnues. Dans cette perspective, la compréhension psychologique de la métaphysique de l’hindouisme et de ses exercices peut permettre au patient souffrant de névrose de se confronter à des éléments contenus dans son ombre.


Cette prise de conscience permet au patient de recouvrer la santé psychique en déployant pleinement son individualité499. Par un processus de conscientisation des projections, l’homme accède alors à une totalité plus grande qui transcende son simple ego. Nous croyons, comme Baudouin, que la réalisation de la personnalité totale coïncide avec la recherche religieuse, telle que décrite par la psychologie des profondeurs. Ces éléments nous poussent à croire que la tradition orientale peut certainement apporter un sens religieux à l’homme occidental aux prises avec la maladie psychique, comprise comme trouble de l’âme. L’homme religieux chez Jung n’est pas un individu qui pratique un culte bêtement (vision inspirée de l’auteur latin Cicéron), mais plutôt quelqu’un qui examine avec soins ce qui se produit en lui- même. Cette lecture attentive est celle de l’homme qui réalise sa nature (l’homme est fait pour vivre le religieux). Toutefois, l’individu qui entame le processus thérapeutique proposé par Jung, ne découvre pas uniquement le beau et le sacré de l’épanouissement de la conscience, mais également la difficulté d’intégrer la part d’ombre. Il s’agit sans doute d’une des questions les plus délicates chez Jung, à savoir quelle est la place du mal et du primitif dans l’être civilisé. À quel degré et dans quelle proportion devons-nous laisser la brute intérieure s’exprimer et agir ? Jung utilisera cette formulation qui résume bien sa position : « L'amour rend l'homme meilleur, la haine le rend pire, même quand cela s'adresse à nous -mêmes ». On a souvent reproché à la psychologie analytique de provoquer des calamités en voulant libérer les mouvements instinctifs animaux, heureusement refoulés chez l’homme. De cette crainte, ressort l’illusion que seule la morale écarte l’homme du déchaînement des mœurs, oubliant presqu’au passage que les besoins sont des régulateurs avec une force persuasive bien au-delà de tous principes moraux. Cette nouvelle attitude permettrait peut-être de sortir de la souffrance psychologique qui accapare notre époque et qui se reflète dans ces épidémies des troubles paniques, de crises d’angoisse, d’ingestion d’antidépresseur et de suicides. Jung nous convie à la rencontre de nos démons intérieurs avec honnêteté, humilité et amour.