SCHIITES, c'est-à-dire sectaires, schismatiques; c'est ainsi que les Musulmans sunnites ou orthodoxes appellent les dissidents de leur religion. Ce schisme remonte à la mort de Mahomet. On sait que ce prétendu prophète mourut sans désigner positivement son successeur. Comme il n'avait pas laissé d'enfant mile, celui qui semblait avoir plus de droit au khalifat était Ali, cousin de Mahomet, et qui, ayant épousé sa fille, pouvait seul perpétuer sur le trône le sang du prophète. Cependant il se vit successivement préférer Abou-Bekr, Omar et Othman, qui furent élus au souverain pouvoir, et lui-même ne fut élevé au khalifat qu'après la mort de ses compétiteurs. Mais à peine fut-il revêtu de l'autorité suprême, qu'un parti puissant s'éleva contre lui dans la Syrie, où Moawia s'était fait proclamer khalife; et après quatre ou cinq ans de luttes, de combats et de divisions intestines, Ali mourut assassiné l'an 40 de l'hégire. Moawia s'empara de l'empire au détriment des enfants d'Ali, qui périrent par le poison ou sur le champ de bataille, non toutefois sans laisser de postérité. Tous les pays, qui avaient subi le joug des Arabes, reconnurent à l'unanimité Moawia en qualité de khalife et de successeur légitime de Mahomet ; et c'est lui qui devint le fondateur de la dynastie des Ommiades. Cependant le parti d'Ali ne fut pas anéanti par la mort de ce khalife et de ses enfants. Hoséin avait laissé un fils, nommé Ali, comme son aïeul. Les amis de sa famille le regardant comme le légitime successeur des droits et de l'autorité de ses pères, l'engagèrent à les faire valoir ; mais les grands malheurs qui avaient fondu sur sa race, son éloignement du monde, et peut-être une certaine pusillanimité naturelle, lui firent refuser formellement la dignité suprême qu'on l'engageait à revendiquer, et il se contenta du titre d'imam, dont il parait qu'on le laissa jouir tranquillement jusqu'à sa mort.
Un grand nombre de Musulmans n'en demeura pas moins attaché à cette famille ; pour eux il n'y avait de khalifes légitimes qu'Ali et ses descendants ; les trois premiers khalifes eux mêmes, Abou-Bekr,Omar et Othman, n'étaient que des usurpateurs, parce qu'ils n'avaient joui de cette autorité qu'au détriment d'Ali; le titre d'imam exprimait la souveraineté tant spirituelle que temporelle, laquelle ne pouvait être transmise que dans la postérité de Hoséin ;quoique la plupart des descendants de ce prince aient vécu dans l'obscurité, et même dans l'obéissance aux khalifes universellement reconnus, ils n'en étaient pas moins les chefs suprêmes de la religion et de l'Etat ; tous ceux qui refusaient de les reconnaître comme tels étaient des hérétiques. Aussi ils ne cessèrent, pendant l'espace de deux siècles, de chercher à stimuler l'amour propre ou l'ambition des descendants d'Ali, pour les engager à remonter sur un trône qui leur était dû. Mais presque toujours ceux-ci se montrèrent fort au-dessous du rôle qu'on voulait leur faire jouer ; cependant, comme, ils étaient la cause, ou du moins l'occasion de fréquents désordres, ils périrent la plupart par le poison, jusqu'à ce qu'enfin la branche imamienne s'éteignit dans la personne de Mahdi, qui disparut dans un âge encore tendre. Mais les sectateurs d'Ali ne se tinrent pas pour vaincus ; ils soutinrent, et la plupart soutiennent encore, que Mahdi n'est pas mort, mais qu'il est réservé miraculeusement pour un temps plus opportun.
Ils le regardent comme le véritable imam, vivant et invisible, et attendent qu'il plaise à la Providence de le manifester à la terre pour réunir tous les Musulmans dans l'unité de la foi et de l'imamat. Ce sont ces partisans des Alides que l'on appelle communément les Shiites, c'est-à-dire les dissidents ; on leur donne encore le nom d'Imamiens ou partisans de l'imamat. Ils sont regardés par les Musulmans sunnites ou réputés orthodoxes, comme les protestants de l'islamisme. Néanmoins, quand on étudie l'histoire mahométane avec impartialité et en dehors des préjugés des Sunnites, on ne peut s'empêcher de convenir que chez les Shiites se trouvent la légitimité et la tradition. Jamais il n'y eut de renonciation formelle des Alides en faveur d'une autre famille, et il est certain qu'ils ont toujours protesté contre ceux qui les ont dépouillés de leurs droits par violence et contre toute justice.
Mais ce ne fut qu'en l'année 363 de l'hégire, sous le khalifat de Mothi l'Illah l'Abbasside, que les Sunnites et les Shiites se partagèrent pour ainsi dire en deux peuples distincts ; les Sunnites se rangèrent du côté des Turcs alors tout-puissants à la cour des khalifes, et les Shiites embrassèrent le parti des Bouïdes, qui se rendirent maîtres de la Perse et de quelques autres provinces. De là l'extrême animosité qui a toujours subsisté depuis entre les Persans et les Turcs. Les Shiites sont encore en majorité dans l'Inde, qui compte 20 millions de Musulmans, parce que le grand empire Mogol y avait été fondé par des colonies sorties de la Perse.
En dehors de ce point fondamental qui constitue le schisme, les Shiites proprement dits diffèrent peu des autres Musulmans ; et les articles sur lesquels ils sont en désaccord sont d'une importance secondaire ; ainsi les Shiites soutiennent qu'après l'acte conjugal, il faut se laver tout le corps pour pouvoir faire licitement ses prières, tandis que les Sunnites enseignent qu'il suffit de se laver la tête, les bras, les mains et les pieds. Ils disent que, pour les purifications légales, on doit se verser l'eau soi-même, à moins qu'on n'ait pas le libre usage de ses mains ; les Sunnites au contraire pensent qu'il est indifférent que l'eau soit versée par un tiers. Ceux-ci, en faisant l'ablution, versent d'abord l'eau dans le creux de leur main et la font couler le long du bras jusqu'au coude, d'où ils la laissent tomber ; les Shiites abhorrent cette manière, et disent que c'est faire remonter les souillures au lieu de les faire sortir; qu'ainsi il faut se verser l'eau sur le bras à la jointure du coude, et la faire couler jusqu'au bout des doigts. Dans l'acte de la prière, les Sunnites tiennent les mains pendantes à côté du corps; mais les Shiites les élèvent jusqu'aux épaules, le dos de la main renversé. Les Sunnites prétendent qu'il n'est pas licite de faire le pèlerinage de la Mecque pour un autre et à son intention; les Shiites enseignent qu'on peut aller aux lieux saints pour un autre, après y avoir été pour soi, et même qu'on peut satisfaire à cette double obligation dans le même voyage, pourvu qu'on accomplisse deux fois les cérémonies sacrées. Enfin les Persans admettent trois manières de posséder une femme, comme épouse, comme concubine et comme femme à louage, c'est-à-dire pour un temps déterminé, en vertu d'un accord fait mutuellement ; les Turcs ont horreur de cette dernière espèce de mariage. Un point plus important encore, c'est que les Shiites enseignent qu'on peut nier sa religion et même l'abjurer, en cas de péril pour la vie, pourvu qu'on la garde ferme et inébranlable dans son coeur ; d'après le même principe ils croient permis de dissimuler sa foi, et de se conformer extérieurement au culte dominant du pays où ils se trouvent.
Les Shiites se sont subdivisés en un grand nombre de sectes, qui ont enchéri les unes sur les autres en extravagances et en impiété : les unes ont mis Ali au-dessus de Mahomet, d'autres ont fait de ce khalife une incarnation de Dieu sur la terre, ou un dieu distinct du Créateur ; d'autres ont supposé que sa divinité avait été transmise à telle ou telle branche de sa postérité ; d'autres, et c'est le plus grand nombre, se sont partagés sur les droits de tel ou tel imam de sa race. C'est des Shiites encore que sont sortis les Druzes et leur religion monstrueuse. On compte ordinairement vingt - deux branches de Shiites, mais nous en avons trouvé un plus grand nombre, que nous avons consignées dans ce Dictionnaire. On les rapporte à trois souches principales, savoir : les Gholats, les Seidis et les Imamis. Voy. ces articIes, et IMAM, MAHDI, ISMAELIENS, FATIMITES, DRUZES, etc.