MATERIALISME.
C'est le nom que l'on donne au système de certains philosophes qui prétendent que l'âme est une substance matérielle. Ce sentiment, qui flatte les sens et favorise le libertinage, fut autrefois soutenu par les Epicuriens, et il a été depuis renouvelé par certains prétendus esprits forts, qui sans doute ne trouvaient rien à perdre et tout à gagner en enseignant une pareille doctrine. Quelques-uns, plus modérés, se sont contentés de dire qu'il était possible que Dieu élevât la matière à la faculté de penser, et que, par conséquent, on ne pouvait assurer avec certitude que l'âme fût spirituelle : tels sont particulièrement Locke, Fabricius et quelques autres.
L'étendue et la pensée, dit Locke, sont deux attributs de la substance : pourquoi Dieu ne pourrait-il pas donner à la fois ces deux attributs à la même substance. Pour faire voir que ce raisonnement n'est qu'un sophisme, il suffit de rétorquer l'argument. La forme ronde et la forme carrée sont deux modifications de la matière : pourquoi le même morceau de matière ne pourrait-il pas être à la fois rond et carré ? Mais on peut répondre directement à Locke, en lui démontrant qu'il répugne que la matière pense.
En effet, lorsque nous réfléchissons sur nous-mêmes, nous voyons que toutes les impressions des objets extérieurs sur nos organes se rapprochent vers le cerveau et se réunissent dans le principe pensant ; en sorte que c'est ce principe qui perçoit les couleurs, les sons, les figures et la dureté et les Corps ; car le principe pensant compare ces impressions ; et il ne pourrait les comparer, s'il n'était pas le même principe qui aperçoit les couleurs et les sons. Si ce principe était composé de parties, les perceptions qu'il recevrait seraient distribuées à ses parties et aucune d'elles ne verrait toutes les impressions que font les corps extérieurs sur les organes. Aucune des parties du principe pensant ne pourrait donc les comparer. La faculté que l'âme a de juger suppose donc qu'elle n'a point de parties, et qu'elle est simple. Plaçons, par exemple, sur un corps composé de quatre parties, l'idée d'un cercle ; or comme ce corps n'existe que par ses parties, il ne peut aussi s'apercevoir que par elles. Le corps composé de quatre parties ne pourrait donc apercevoir un cercle que parce que chacune de ses parties apercevrait un quart de cercle ; or, un corps qui a quatre parties, dont chacune apercevrait un quart de cercle, ne peut apercevoir un cercle, puisque l'idée du cercle renferme quatre quarts de cercle, et que, dans les corps composés de parties, il n'y en a aucune qui aperçoive les quatre quarts du cercle. La simplicité de l'âme est donc appuyée sur ses opérations mêmes ; et ses opérations sont impossibles si l'âme est composée de parties simples et matérielles.