Au lendemain de Vatican II, beaucoup se demandèrent d'où pouvait bien venir l'ordre de démolir les vénérables traditions liturgiques, patrimoine intangible de l'Eglise, dont les racines séculaires trouvaient leurs origines dans les temps apostoliques et dans ceux de l'Ancien Testament et du peuple élu. Ils décidèrent d'enquêter sur le principal artisan des grandes réformes liturgiques, l'archevêque Annibale Bugnini, secrétaire du Département pontifical pour le culte divin.
Leurs longues filatures finirent par les conduire dans les alentours du mont Janicule, vers le siège du Grand Orient d'Italie, au Vascello. Il apparut que Mgr Bugnini s'était mis à la disposition du grand maître, qui lui versait des appointements mensuels fort substantiels ; ils se laissèrent un jour surprendre par un photographe, et le cliché parut dans une revue bien connue dans le courant de l'été 1975. Au mois d'octobre suivant, on apprit par des entrefilets que Bugnini avait disparu de la curie et que personne ne savait où il se trouvait. La rapidité avec laquelle Mgr Bugnini avait été, en un clin d'œil, démis de ses fonctions était une leçon de cynisme diplomatique en même temps qu'un exemple de nervosité politique.
Les prélats maçonniques de la curie avaient mis leurs deux affidés, Bugnini et Baggio (ce dernier était alors préfet du dicastère des évêques), à l'abri du courroux de Paul VI, informé d'un complot contre lui par les services secrets commandés par le très sûr général Enrico Mino. Le 4 janvier de l'année suivante ; quand la colère de Montini fut retombée, Bugnini fut nommé nonce en Iran, où il resta jus'en juillet 1982.
Mgr Bugnini s'était acquitté à la perfection de la tâche qu'avait confiée le grand architecte de l'univers maçonnique, Satan.
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Les multiples courants des pieuses factions.
La simonie n'a plus cette rigueur canonique voulue par les lois draconiennes du droit antique. La loi à cet égard a été édulcorée. Le mot s'est dévalorisé. Jamais on ne parle de corruption. On préfère parler de connivence, de favoritisme, ce qui n'est pas considéré comme un délit ; et comme cette pratique se pare de bienveillance et d'amitié, c'est donc une vertu. Aucun tribunal ecclésiastique ne devra jamais engager de poursuites.
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Lénine était d'avis que, pour être à la hauteur de sa tâche, le secrétaire général du Parti communiste d'un Etat catholique aurait dû passer, au besoin, le froc des franciscains.
En 1935, les services secrets signalèrent qu'un millier d'étudiants communistes avaient réussi à infiltrer les séminaires et les noviciats de l'Europe occidentale et que, jouant la comédie jus'au bout, ils s'apprêtaient même à devenir prêtres. Le Parti communiste aurait envisagé plus tard de les placer dans les centres névralgiques de l'Eglise. Le phénomène prit peu à peu de l'ampleur, au point de créer dans les séminaires et les noviciats de vives contestations au cours des années soixante et soixante-dix.
Dans les années vingt, sous le pseudonyme de César, Antonio Gramsci écrivit cette affirmation prophétique : « La tunique rouge du Christ est plus flamboyante que jamais, plus rouge, plus bolchevique. Il y a un morceau de la tunique du Christ dans les innombrables drapeaux rouges des communistes qui, à travers le monde, se lancent à l'assaut de la forteresse bourgeoise. »
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« Camarade, donne cette enveloppe fermée au camarade secrétaire... Fermée ! Je t'en prie. »
Mais il y avait erreur sur la personne : le bedonnant était connu de toute la ville comme un démocrate-chrétien fanatique ; il s'appelait Peruzzi. Sournoisement, Peruzzi avait remarqué la gêne et le manège du séminariste. Et, maintenant qu'il avait la lettre cachetée entre les mains, il se posait la question : que faire ?
Il resta trois jours à se poser la question : la donner ou non au secrétaire du PC ? Serait-ce un parent ? Et, sinon, la déchirer ? La laisser fermée ou en lire le contenu ? Aller voir le recteur du séminaire ? Et que lui raconter ? Un beau casse-tête, qui finit par trouver une solution avec la pointe d'un coupe-papier glissée dans l'angle de l'enveloppe cachetée - qui s'ouvrit. Il lut :
« Cher camarade secrétaire, je me trouve détaché de mon pays pour étudier dans ce séminaire régional. J'ai un urgent besoin de te voir pour définir avec toi la marche à suivre dans un proche avenir... Je te recommande de te faire passer pour mon oncle. Les visites des parents sont autorisées tous les jours à partir de seize heures dans le parloir contigu au terre-plein. Salut à toi, Andrea Sanomonte. »
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Perspectives d'avenir : je connais tel prélat, tel cardinal, tel ambassadeur ou tel ministre, si tu le souhaites, ou du moins si tu n'y mets pas d'obstacles, je dirai volontiers un mot te concernant ; je parlerai de toi comme d'un homme qui mérite de plus hautes responsabilités : par exemple, sous-secrétaire de ce dicastère, évêque de..., nonce en..., secrétaire particulier de...
A ce stade, le proposant se rend compte tout de suite si l'intéressé a déjà mordu à l'hameçon, même si par fausse modestie il se réfugie derrière de frivoles formules de circonstance : mais je n'en suis pas digne, je ne suis pas à la hauteur, je me sens tout petit, il en est qui valent bien mieux que moi... et autres protestations du même acabit. Mais le recruteur sait à quoi s'en tenir il sait que, autant la prudence est la vertu des forts, autant la fausse modestie est la vertu des imbéciles en escalade, et que derrière se cache la reddition.
Le processus est déjà bien engagé. Petit à petit, les promesses faites se concrétisent. Le candidat présélectionné constate que ce n'étaient pas des promesses en l'air et croit devoir en être reconnaissant à l'ami, qu'il considère comme son bienfaiteur. Pendant ce temps, sa carrière progresse comme sur des roulettes sans rencontrer de difficultés. Des perspectives radieuses se profilent devant lui au service de l'Eglise, au sein de laquelle il commence à deviner un fauteuil qui lui conviendrait très bien.
C'est précisément au moment où, saisi par la fièvre de l'ambition et de la vanité, le prélat ignorant a les preuves en main de son ascension facile, dont il ne prend pas encore toute la mesure, et que se profilent à l'horizon d'autres promotions à des échelons bien plus élevés, qu'on arrive à la phase des éclaircissements. Les choses lui sont plus ou moins présentées en ces termes :
« Monseigneur, Excellence, en toute honnêteté, il faut vous... il faut te dire que, si tu assumes aujourd'hui des fonctions aussi prestigieuses, tu le dois, plus qu'à ma personne, à l'influence de l'ordre maçonnique et de tous ses amis, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Eglise, qui ont rendu possible la prestigieuse ascension aux délicates responsabilités qui vous... qui t'ont été confiées. Comme vous le voyez, vous n'avez aucun souci à vous faire, car vous avez l'estime de nombreuses personnalités éminentes. Toutefois, libre à vous de continuer désormais ou non à collaborer avec notre organisation qui vous garantit toute discrétion et vous ouvre de belles perspectives d'avancement. »
Dans cette phase très délicate, il appartient au prélat en crise de décider du choix à accomplir. Le désir de continuer à grimper, le vertige de se savoir introduit dans la chaîne maçonnique, la peur d'immanquables révélations en cas de refus d'adhérer, le vide qu'il pressent autour de lui dans le cas contraire, la fraternelle exhortation de quelque dignitaire à aller de l'avant, comme lui-même l'a fait autrefois : en un mot, tout cela finit par convaincre le prélat de suivre la voie que d'autres ont commencé à tracer pour lui, à son insu.
Plus on est haut placé, plus on risque d'être intérieurement fragile par peur de perdre les hautes fonctions auxquelles on vous a permis d'accéder. Un abîme en appelle un autre. On cherche à se faire une raison : après tout, ce n'est pas la fin du monde et, si étrange que soit cette situation, il y a toujours le moyen de faire le bien. Dieu existe aussi pour les maçons, qu'ils appellent le Grand Architecte de l'Univers, même s'ils ne le servent pas intégralement. L'Être suprême existe dans le créé - qui le nie ? Il suffit qu'il ne dicte pas de lois répréhensibles. Un sacrifice personnel qui fait penser à l'horrible vœu de Jephté qui, pour s'assurer de la victoire sur les Ammonites, ne dédaigna pas de sacrifier à Dieu sa fille unique alors qu'elle sortait à sa rencontre pour le fêter.
Ainsi, une fois infiltré dans son milieu ecclésiastique, le brave novice maçon a pour premier devoir de paraître crédible en tenant les promesses faites et, le cas échéant, de présenter sous un mauvais jour, comme des esprits faux et des hypocrites, les meilleurs prélats de l'endroit où il s'est infiltré.
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Quand la presse informa l'opinion publique de l'existence de la puissante loge maçonnique « Propaganda 2 », mieux connue sous le nom de loge P2, présidée par le vénérable maître Licio Gelli, de connivence avec Michele Sindona, Roberto Calvi et Umberto Ortolani, catholiques francs-maçons tous impliqués dans le krach de la banque Ambrosiano, elle donna aussi le nom d'autres prélats qui figuraient sur la liste - déjà en circulation depuis quelques années - des cent vingt et un noms classés par ordre alphabétique avec les dates d'adhésion à l'ordre maçonnique, leurs matricules et le nom des loges P2.
Le lecteur qui voudrait contrôler la vérité des faits prendra les noms indiqués dans cette liste pour les confronter à ceux de l'index des Annuaires pontificaux des années quatre-vingt-dix au terme de cette comparaison, n'importe qui constatera que la majeure partie de ces noms a fait une magnifique carrière ecclésiastique. Plus des deux tiers d'entre eux, assurément fort peu méritants, se retrouvent aujourd'hui aux sommets de la curie romaine (quand ils ne sont pas décédés) : cardinal, évêque d'un diocèse prestigieux, aux commandes de quelque dicastère tout aussi prestigieux, chef de cordée du clan des ventouses collées aux bastions michelangelesques. Tout cela n'est pas plus le fruit du hasard que d'un accident du travail.
Tiré du livre “Le Vatican mis à nu“, groupe Les Millénaires