"Chez tous les hommes qui se sont dévoués à quelque étude ou à quelque art avec assez de persévérance pour atteindre à un certain degré de talent, il faut nécessairement un fonds d'énergie infiniment supérieur à celle du vulgaire. Cette énergie se concentre d'ordinaire sur l'objet de leurs études habituelles, et les laisse, par conséquent, indifférents à ce qui préoccupe les autres. Mais lorsque toute carrière est fermée à leur aptitude spéciale, lorsque le courant ne trouve pas sa pente légitime, cette énergie stimulée et irritée s'empare de l'être tout entier, et, si elle ne se dépense pas en projets variés, si elle n'est point purifiée par la conscience et par de solides principes moraux, elle devient pour le système social un élément dangereux et destructif, par son développement irrégulier et désordonné. Voilà ce qui, dans toutes les monarchies, et même dans tous les gouvernements bien organisés, explique le soin particulier avec lequel on ouvre des débouchés à tous les arts et à toutes les sciences ; voilà la raison de la considération dont jouissent les artistes et les savants, et des honneurs que leur rendent les hommes d'Etat prudents et avisés qui, personnellement peut-être, ne voient dans un tableau qu'une toile couverte de couleurs, dans un problème qu'un casse-tête ingénieux. Jamais un Etat n'est plus en danger que lorsque le talent qui devrait être consacré à la paix n'a d'autre occupation que les critiques politiques ou l'avancement personnel. Le talent sans considération, c'est le talent en guerre avec la société ; et on peut remarquer en passant que la catégorie des comédiens, qui avait été de toutes la plus méprisée par l'opinion publique dans l'ancien régime, dont les morts même avaient été privés de la sépulture chrétienne, se montrait plus que toutes les autres (sauf quelques exceptions prises dans la troupe de la Cour) impitoyable et vindicative au milieu des énergumènes révolutionnaires. Le féroce Collot D'Herbois, mauvais comédien, incarnait en lui les griefs et la vengeance d'une classe tout entière."
"Egalité : Doctrine décourageante, si on l'applique à la politique. Ces contrastes cruels de la vie ne doivent-ils jamais disparaître ? - Dans la vie physique, espérons-le ; mais pour l'inégalité morale et intellectuelle, jamais. L'égalité universelle de l'intelligence, de l'âme, du génie, de la vertu ! Pas de maître laissé au monde ! Pas d'hommes plus sages, meilleurs que les autres ! Quand même ce ne serait pas une condition impossible, quelle perspective désespérante pour l'humanité ! Non, tant que le monde durera, le soleil dorera le sommet de la montagne avant d'éclairer la plaine. Répandez aujourd'hui la science humaine avec une rigoureuse égalité sur tous les hommes, et demain il y aura des hommes plus sages que les autres. Ce n'est pas là une loi sévère, mais une loi d'amour, la loi du vrai progrès. Plus, dans une génération, le petit nombre est sage, plus sage sera la multitude dans la génération suivante."