Il y a un moyen terme entre le rejet de toute liaison et l'affirmation des seules liaisons de type mental : il consiste à partir des liaisons géométriques pour tout construire, jusqu'à la réalité "mentale" elle-même.
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Si on peut prouver que ce mode de liaison n'est bien qu'un cas particulier du mode général, on dissipe l'illusion qui ferait de l'existence "mentale" le seul genre d'existence particulière.
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Ce qui obscurcit la question, c'est que l'idéalisme ne contient pas seulement une illusion, mais une thèse incontestable : à savoir que nous ne pouvons "connaitre" immédiatement, que des formes à liaison cérébrale, ou mieux, que nous sommes ces formes à liaison cérébrale et que nous ne pouvons être autre chose que nous-mêmes.
L'idéalisme est donc toujours littéralement vrai, et il lui est toujours permis de refuser toute audience à un mécanisme tel que le nôtre, dont la vérité est hypothétique. La réalité propre de ce qu'on appelle notre esprit ne pouvant devenir autre chose qu'elle-même, l'idéaliste peut donc s'enfermer solidement dans ce fort et il prouve sans peine que nous ne pouvons parler de "choses" rigoureusement. Que nous ne pouvons que construire l'Univers de la science, sans jamais bondir hors de notre système d'affirmations.
C'est toujours à partir d'opérations de la pensée que l'on parle : temps, espace, corps propre....
En voulant rompre le dogmatisme naïf, l'idéalisme en crée bénévolement un autre.
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Le concert au poste émetteur à une réalité bien définie. Il est par trop paradoxal de vouloir trouver la réalité du concert lui-même en démontant la lampe à trois électrodes, ou même en remontant aux conditions générales qui ont rendues possible la réception. Or ce paradoxe est la thèse même de l'idéalisme.
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Le savant est donc à la fois dans la glorieuse situation de Dieu : "Pendant qu'il calcule, le monde se fait', et dans la triste position d'Epiménide, qui ne peut accuser de mensonge ses compatriotes les crétois. L'idéalisme est donc toujours prouvé, il triomphe toujours, il est toujours insaisissable dans le cercle enchanté où il s'enferme. Il est plus invulnérable que Sigfried, parce qu'il ne suffit pas, pour l'abattre, de connaitre son secret.
Seulement, le caractère automatique de son triomphe est vraiment inquiétant. Le danger pour lui, c'est la thèse qui renonce à l'abattre et qui se met à montrer comment on peut construire l'idéalisme lui-même. Invulnérabilité comprise. L'idéalisme n'apparait pas ainsi comme faux, il apparait comme inutile.