PARIA, mot généralement employé dans le midi de l'Inde, par les Européens, pour désigner ceux des Hindous qui sont rejetés de toutes les castes. Ce mot vient du tamoul pareyer, sous lequel on les désigne en cette langue.
C'est à tort que quelques écrivains disent la caste des parias. Il n'y a que quatre castes dans l'Inde : celle des brahmanes, prêtres ou théologiens ; celle des kchatriyas , rois ou soldats; celle des vaisyas, marchands et négociants, et celle des soudras, laboureurs et artisans. Les parias se composent de tous ceux qui ont été rejetés de leurs castes respectives, soit pour leurs crimes, soit bien plutôt pour avoir enfreint les règles et les usages de la caste à laquelle ils appartenaient, ou bien dont les ancêtres ont été rejetés hors de la société pour les mêmes motifs. Voici le tableau de la condition des parias, extrait de l'ouvrage de feu l'abbé Dubois :
Dans tous les pays de l'Inde, les parias sont entièrement asservis aux autres castes, et traités partout avec dureté. Dans la plupart des provinces, il ne leur est pas permis de cultiver la terre pour leur propre compte, mais ils sont obligés de se louer aux autres tribus, qui, pour un modique salaire, les emploient aux travaux les plus pénibles. Leurs maîtres peuvent les battre quand ils le veulent, sans que ces malheureux aient le droit de se plaindre, ou de demander réparation pour les mauvais traitements qu'on leur fait endurer. En un mot, les parias sont les esclaves nés de l'Inde ; c'est à eux que sont dévolus tous les travaux les plus pénibles de l'agriculture, et les autres ouvrages les plus indispensables et les plus rudes.
Cependant, à quelque degré de misère et d'oppression qu'ils soient réduits, on ne les entend jamais se plaindre de leur condition, ni même murmurer de ce que le hasard ne leur a pas donné une naissance plus relevée. Tout paria est élevé dans l'idée qu'il est né pour être asservi aux autres castes, et que c'est là sa seule condition, sa destinée irrévocable. Plongés dans la plus affreuse misère, la plupart n'ont pas de quoi se procurer les vêtements les plus grossiers ; ils vont presque nus, ou toujours couverts de haillons. Il y en a fort peu qui aient leur nourriture assurée durant tout le cours de l'année. Quand ils possèdent quelque chose, c'est une règle parmi eux de le dépenser bien vite, et de s'abstenir de tout travail tant qu'ils ont de quoi vivre sans rien faire. Dans quelques districts ils sont autorisés à cultiver la terre pour leur compte ; mais ceux qui le font sont presque toujours les plus misérables, parce qu'ils travaillent, avec tant d'indolence et d'incurie, que, même dans les meilleures années, leur récolte ne suffit pas pour les faire subsister pendant six mois.
Le mépris et l'aversion que les autres castes en général, et surtout celle des brahmanes, témoignent à ces malheureux, sont portés à un tel excès, que , dans bien des endroits, leur approche seule ou la trace de leurs pieds est considérée comme capable de souiller tout le voisinage. Il leur est interdit de jamais traverser la rue où logent les brahmanes ; s'ils s'avisaient de le faire, ceux-ci auraient le droit, non pas de les frapper eux-mêmes, puisqu'ils ne peuvent pas, sans se souiller, les toucher même avec la point d'un long bâton, mais de les faire assommer de coups par d'autres personnes. Un paria qui pousserait l'audace jusqu'à entrer dans la maison d'un brahmane, pourrait être mis à mort sur-le-champ ; et l'on a vu des exemples de cette iniquité révoltante, dans des pays soumis à des princes indigènes, sans que personne y trouvât à redire.
Toute personne qui a été touchée, soit par inadvertance, soit volontairement, par un paria, est souillée par cela seul, et ne peut communiquer avec qui que ce soit, jusqu'à ce qu'elle ait été purifiée par le bain, ou par d'autres cérémonies plus ou moins importantes, selon la dignité et les usages de la caste à laquelle cette personne appartient. Manger avec des gens de cette classe, ou toucher à des vivres apprêtés par eux, et même boire de l'eau qu'ils auraient puisée ; se servir de vases de terre qu'ils ont tenus dans leurs mains ; mettre le pied dans leurs maisons, ou leur permettre d'entrer dans la sienne; tout cela offrirait autant de motifs d'exclusion ; et celui qui l'aurait encourue n'obtiendrait de rentrer dans sa caste qu'après de pénibles et dispendieuses formalités. Quiconque aurait eu commerce avec une femme paria serait traité encore plus sévèrement, si son délit était prouvé.
Cependant cette horreur qu'inspirent les parias n'est pas aussi grande dans les provinces du nord de l'Hindoustan, on y est beaucoup plus tolérant ; il est des cantons où l'on souffre qu'ils entrent dans l'étable aux vaches, et mettent la tête et un pied seulement dans l'appartement du maître.
Mais si cette classe est réputée si vile et si infâme, il faut avouer qu'elle le mérite à bien des égards, par la conduite ou par le genre de vie que mènent les individus qui la composent. Un grand nombre de ces malheureux se vendent eux-mêmes comme esclaves, pour toute la vie, avec leurs femmes et leurs enfants, à des cultivateurs qui leur font exercer les travaux les plus pénibles et les traitent avec la dernière dureté. Les valets des villages, obligés par leur office de nettoyer les lieux communs, de balayer les rues et d'en enlever toutes les immondices, appartiennent toujours à cette classe. Les parias, convaincus qu'ils n'ont rien à perdre ni à gagner dans l'opinion publique, se livrent sans retenue et sans honte à toutes sortes de vices, et l'on voit régner parmi eux les plus grands désordres, sans qu'ils paraissent en ressentir le moindre remords. Ils sont fort adonnés à l'ivrognerie, vice extrêmement odieux à tous les autres Indiens et dans l'état d'ivresse, ils se livrent à des excès de violence et de brutalité dont leurs femmes sont les premières victimes, même lorsqu'elles sont enceintes. Leur malpropreté fait horreur ; leurs cabanes couvertes d'ordures, d'insectes et de vermine, sont encore, s'il est possible, plus dégoûtantes que leurs personnes. Mais ce qui révolte le plus contre eux les autres Indiens, c'est la qualité repoussante des aliments dont ils font leur principale nourriture. Attirés par la puanteur d'une charogne, ils courent en troupe en disputer les débris aux chiens, aux chacals et aux corbeaux ; ils s'en partagent la chair à demi pourrie, et vont la dévorer dans leurs cabanes, sans aucun assaisonnement, peu leur importe la maladie dont l'animal est mort, puisqu'ils empoisonnent quelquefois secrètement les vaches et les buffles, pour pouvoir ensuite se repaître impunément de leurs infectes et morbifiques dépouilles.
Parmi les parias, il en est qui ont la garde et le soin des chevaux des particuliers, de ceux des armées, des éléphants, des bœufs ; d'autres sont portefaix, ou se livrent aux différents travaux des manœuvres. Dans ces derniers temps, des parias ont été admis dans les armées des Européens et dans celles des princes du pays, et ils sont quelquefois parvenus à des grades distingués. Les Européens, qui résident dans l'Inde, sont contraints d'en prendre à leur service, parce qu'il est des soins domestiques que tout autre Indien rougirait de leur rendre, comme de graisser les bottes, décrotter les souliers, etc. ; mais surtout ils ne trouveraient dans aucune caste un individu qui consentît à être leur cuisinier, parce que leur service oblige à préparer de la viande de bœuf, ce qui est le comble de l'abomination et de la dégradation aux yeux des Hindous.
L'origine des parias paraît remonter à une époque fort reculée ; il en est fait mention dans les plus anciens Pouranas. On est fondé à croire que cette classe avilie se forma d'abord de l'agrégation des individus chassés des diverses castes pour leur mauvaise conduite ou pour avoir enfreint les lois, et qui ainsi repoussés à jamais de la société des gens d'honneur, et n'ayant plus rien à craindre ni à espérer, se livrèrent sans retenue à leurs penchants naturels, à tous les excès et à tous les vices dans lesquels ils vivent encore actuellement. Néanmoins la distance qui existe entre les autres tribus et celle des parias ne paraît pas avoir été dans le principe aussi grande qu'elle l'est maintenant. Quoique relégués sur le dernier plan dans le cadre social, ils n'en étaient pas totalement exclus, et la ligne de démarcation entre eux et les soudras était imperceptible ; ils passent encore aujourd'hui pour les descendants immédiats de la meilleure caste de cultivateurs.