MYSTÈRES, 1° cérémonies secrètes qui faisaient partie de la religion des anciens païens. Elles étaient pratiquées en l'honneur de certains dieux, et le secret n'en était connu que des seuls initiés, qui n'y étaient admis qu'après de longues et pénibles épreuves ; il y allait pour eux de la vie s'ils le révélaient aux profanes. On les appelait mystères, non qu'ils continssent rien d'incompréhensible, mais parce que la connaissance en était dérobée au vulgaire. Ils paraissent avoir pris naissance en Egypte, pays par excellence, de la superstition et de l'idolâtrie.
Il est certain que l'idolâtrie a eu sa source primitive dans le symbolisme. Les premiers législateurs, s'adressant à des peuples grossiers et demi-barbares, eurent le tort de leur représenter la divinité, les phénomènes de la nature, ceux de l'astronomie, de l'agriculture, et les autres connaissances nécessaires à la société, sous des images et des symboles qui frappaient les sens. Ces moyens et ces emblèmes, innocents dans leur but, eurent des suites fâcheuses ; ils corrompirent la religion qui jusqu'alors avait été pure, simple et conforme à la révélation primitive ; l'ignorance et la superstition convertirent en autant de divinités les figures allégoriques ; et peu à peu le peuple fut tellement infatué des dieux qu'il s'était faits, qu'il perdit entièrement le sens primitif des symboles qu'il avait divinisés. Tout le monde oriental fut entraîné à un culte absurde, rendu soit à la matière soit à des êtres purement idéals ; il vit des dieux partout, il divinisa toutes les passions, en un mot il se précipita dans les superstitions les plus monstrueuses.
Cependant les gens les plus sensés sentirent la nécessité de ramener la religion à sa simplicité et à sa vérité première ; mais pouvaient-ils entreprendre d'ôter à la multitude ses dieux et ses fêtes ? N'aurait-ce pas été le moyen de froisser les intérêts et les passions. Il eût fallu une mission céleste pour ce grand œuvre ; et cette mission était réservée au christianisme, qui eut à lutter pendant trois siècles contre le paganisme oriental, et qui aurait infailliblement succombé à la tâche, s'il n'eut été soutenu par la puissance de son divin auteur. Les sages des anciens temps crurent donc qu'il était plus prudent de rechercher ensemble les vérités enveloppées sous les symboles, d'étudier le sens des cérémonies, de remonter s'il était possible à l'intention du législateur, enfin de débarrasser la religion de cet océan d'erreurs et de mensonges dans lequel elle était plongée. Lorsqu'ils crurent avoir trouvé la vérité, ils sentirent le danger qu'il y aurait à la communiquer au vulgaire, peut-être même que quelques généreuses tentatives faites dans ce sens eurent un résultat fatal ; ils résolurent alors de ne communiquer leurs découvertes, vraies ou prétendues, qu'aux hommes choisis, sur la discrétion desquels ils pouvaient compter ; de là les épreuves, de là les serments redoutables, de là enfin ces nouveaux symboles qui amenaient graduellement l'initié à la connaissance de ce qu'ils appelaient les mystères.
Il y eut alors deux religions : l'une publique et suivie par la multitude, qui n'était qu'un amas confus de fables et de symboles dont le peuple avait perdu le sens, et sur lequel il avait pris le change ; l'autre particulière et secrète, qui n'était connue que des prêtres et des seuls initiés. Or ce secret a été bien gardé ; aucun des initiés n'a révélé les mystères ; quelques-uns nous ont bien laissé des détails plus ou moins circonstanciés sur les épreuves et sur certaines cérémonies ; mais il ne s'en est pas trouvé un seul qui ait révélé clairement à la postérité la doctrine secrète. Cependant la plupart des anciens philosophes grecs et latins s'étaient fait initier à quelques-uns de ces mystères ; aussi voyons-nous que leurs écrits s'en ressentent, et nous pouvons y admirer souvent une doctrine et des dogmes qui échappent presque malgré eux et qui ne sont pas ceux du vulgaire. On voit par exemple que s'ils parlent des dieux comme réellement existants, ils n'usent de cette formule que pour se conformer à l'opinion du vulgaire ; mais quand ils écrivent philosophiquement, ils emploient volontiers le singulier ; leur mépris pour les idoles perce quelquefois malgré eux. On sent que bien souvent ils n'osent pas dire tout ce qu'ils savent. Ainsi lorsque Cicéron dit en partant des mystères d'Eleusis : « Quand ces mystères sont expliqués et ramenés à leur vrai sens, il se trouve que c'est moins la nature des dieux qu'on nous y apprend, que la nature des choses, » on voit qu'il ne s'exprime qu'à demi-mot, et qu'il laisse seulement entrevoir ce qu'il ne lui était pas permis de publier ; mais il est un peu plus explicite dans un autre endroit : « Par le secours de ces mystères, dit-il, nous avons connu les moyens de subsister ; et les leçons qu'on y donne ont appris aux hommes, non-seulement à vivre dans la paix et avec douceur, mais même à mourir dans l'espérance d'un meilleur avenir. » Ces dernières paroles sont remarquables, aussi bien que ces vers de Pindare, cités par saint Clément d'Alexandrie : « Heureux celui qui, après avoir vu ces cérémonies, descend dans les profondeurs de la terre ! Il sait la fin de la vie, il sait le commencement donné par Jupiter. »
Toutefois comme les meilleures institutions finissent par se corrompre, les mystères ne purent échapper à cette loi générale. Plusieurs dégénérèrent en infamies favorisées par le voile religieux, et quelques-uns se solennisaient dans des grottes et au sein des ténèbres, plus propres à receler des crimes qu'à célébrer des cérémonies religieuses. Chacune des divinités principales avait ses mystères particuliers ; les plus célèbres étaient ceux de Bacchus, de Cérès et d'lsis.
- Dans l'Eglise chrétienne, on donnait le nom de mystères aux sacrements, qui, dans les premiers siècles, étaient cachés avec grand soin, non seulement aux fidèles, mais encore aux catéchumènes. Jamais on ne les célébrait devant eux : on n'osait pas même raconter en leur présence ce qui s'y passait, ni prononcer les paroles solennelles, ni parler sur la nature du sacrement. On prenait les mêmes précautions dans les livres qui traitaient de la religion. Lorsque, dans un discours public ou dans un écrit, on était obligé de parler de l'Eucharistie ou de quelque autre mystère, on se servait de termes couverts, dont les chrétiens seuls entendaient le sens. Ce secret des mystères donna lieu aux païens de débiter les calomnies les plus atroces sur les premiers chrétiens ; et comme, dans les autres religions, la plupart des mystères cachaient des infamies, on jugeait que les mystères des chrétiens n'étaient pas plus innocents. Ainsi se répandit celle fable, que les chrétiens, dans leurs assemblées nocturnes, tuaient un enfant pour le manger, après l'avoir fait rôtir et couvert de farine, et avoir trempé son pain dans son sang ; ce qui venait manifestement du mystère de l'Eucharistie mal entendu. On disait encore qu'après leur repas commun, où ils mangeaient et buvaient avec excès, on jetait un morceau de pain à un chien attaché au chandelier ; que ce chien, en s'élançant, renversait la seule lampe qui les éclairait ; et qu'ensuite, à la faveur des ténèbres, toute l'assemblée se livrait brutalement à la plus honteuse promiscuité. Les Juifs furent les principaux auteurs de ces calomnies ; et, quelque absurdes qu'elles fussent, le peuple les croyait, et les chrétiens en étaient réduits à se justifier. L'exemple des Bacchanales, où, deux cent ans auparavant, on avait découvert des crimes horribles, persuadait en général qu'il n'y avait point d'abomination qui ne pût s'introduire sous le prétexte de la religion.
On appelle encore mystères les dogmes et les vérités de la religion chrétienne, parce qu'ils sont, non pas opposés à la raison humaine, mais supérieurs à l'ordre naturel des choses physiques, et parce que l'esprit de l'homme ne saurait les concevoir et les comprendre dans leur plénitude el leur étendue. Les principaux mystères sont ceux de la Sainte-Trinité, de l'Incarnation du Fils de Dieu, de la Rédemption du genre humain par la mort du Christ, de l'Eucharistie et des sacrements en général, du péché originel, de la grâce et de la prédestination, de la résurrection des morts, etc., etc.
Dans la vie de Jésus-Christ on distingue les mystères joyeux, savoir :
1° son incarnation dans le sein de la sainte Vierge ;
2° la visite faite par Marie à sainte Elisabeth ;
3° la naissance de Jésus-Christ ;
4° sa présentation au temple ;
5° sa dispute avec les docteurs ;
on pourrait y joindre l'Epiphanie ou l'adoration par les mages.
- Les mystères douloureux, qui sont :
6° sa prière et son agonie au jardin des Olives ;
7° sa flagellation ;
8° son couronnement avec des épines ;
9° le portement de la croix ;
10° sa crucifixion et sa mort.
- Les mystères glorieux, qui sont :
11, sa résurrection ;
12°, son ascension au ciel ;
13° la descente du Saint-Esprit;
14° l'assomption de la sainte Vierge ;
15° le couronnement de Marie dans le ciel.
Les deux derniers n'appartiennent point à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais ceux que nous venons de citer sont honorés sous le nom des quinze mystères du rosaire. Les deux derniers peuvent être remplacés par la session de Jésus-Christ à la droite de Dieu le Père, et son second avènement pour juger tous les hommes.
Enfin on a donné, dans le moyen âge, le nom de mystères à des représentations ou dialogues composés sur les différents mystères de la religion, et particulièrement sur la passion de Jésus-Christ ; ils furent l'origine du théâtre français.